Malgré les campagnes de prévention et de sensibilisation, malgré le 25 novembre, la méconnaissance des mécanismes qui sous-tendent les violences conjugales est une évidence pour une grande partie de la population. L’incompréhension reste grande pour beaucoup. Mais peut-être plus grave encore que l’incompréhension, que dire de l’indifférence des uns face à la vulnérabilité des autres ?
Quand cette méconnaissance et cette indifférence sont partagées par des professionnel·les que nous pensons nos allié·es, notre colère est grande.
Dans cette nouvelle rubrique, nous partagerons avec vous des anecdotes de notre quotidien qui témoignent de l’immense nécessité de continuer à sensibiliser et former les professionnel·les à la problématique des violences conjugales et intrafamiliales.
2. Le directeur d’école
Cet incident s’est passé l’année dernière. Nous hébergions au sein de notre refuge une femme, une mère, sans ses enfants. Victime de violences dans son couple, elle était partie se réfugier dans une première maison d’hébergement. Elle pensait pouvoir récupérer ses enfants une fois mise à l’abri de son conjoint, leur père. Les choses ne se sont pas passées comme elle le voulait : le père a refusé de les lui donner et a instrumentalisé très fort les deux ainés. « Votre mère vous a abandonnés » : c’est ce qu’il leur a dit et c’est ce que les petits ont cru. Ils étaient bien trop jeunes pour imaginer les démarches juridiques que leur maman était en train de mettre en place pour les revoir. Une fois arrivée dans notre maison d’hébergement, nous l’avons accompagnée et soutenue dans ses démarches. Elle a obtenu un jugement qui définissait les modalités de rencontre et d’hébergement. Il ne l’a jamais respecté, continuant à manipuler les enfants récalcitrants désormais à l’idée de passer du temps avec leur mère.
Nous nous présentions donc à la sortie de l’école primaire avec la maman afin de récupérer les enfants comme établi par le jugement. Mais à chaque fois, le père était là et reprenait ses enfants sans se soucier de notre présence et de la décision du juge.
Ce vendredi-là, face au désarroi de cette mère privée arbitrairement de ce qu’elle a de plus précieux, nous avons appelé le directeur de la petite école primaire. Nous lui avons exposé la situation, nous lui avons signifié l’existence d’un jugement et nous lui avons demandé la permission de venir chercher les enfants trente minutes avant la fin des cours. C’était la seule manière de court-circuiter le père et de pouvoir réunir les enfants à leur maman l’espace de quelques heures. Il était plus qu’urgent de commencer avec elle et eux le nécessaire travail de réparation du lien maternel.
Le directeur a dit non. Il nous a refusé cette alliance. Il a nié à la mère le droit de passer du temps avec ses enfants, malgré la décision d’un juge et la présence d’une association spécialisée comme la nôtre. Les enfants quitteraient l’établissement scolaire en même temps que leurs camarades, point.
Cette fois-là, nous avons pu compter sur d’autres alliés heureusement : des agents de police qui sont intervenus et ont permis à Madame de repartir, finalement, avec ses deux enfants. La rage du père et son désir de toute puissance ont éclaté au grand jour, révélant au directeur d’école le vrai visage de cet homme violent qui, jusqu’alors, avait réussi à passer là encore pour la victime d’une ex-compagne déséquilibrée au point d’avoir perdu la garde de ses enfants. En violences conjugales, les apparences peuvent être trompeuses. Les conjoints violents le savent et en jouent. En formation, nous apprenons aux professionnel·les à tenter de repérer la manipulation et à lire entre les lignes.
Le directeur d’école a compris – même si un peu tard – qu’il aurait mieux valu collaborer directement avec nos services. Beaucoup d’agitation et une énième scène de tension auraient pu être évitées aux enfants. L’école ne devrait pas être le théâtre d’une intervention policière. Aujourd’hui, nous en sommes certaines, il serait plus à l’écoute de nos demandes. Mais notre quotidien, c’est cela aussi : se battre pour démontrer notre légitimité, attendre l’incident pour qu’enfin nos demandes soient prises au sérieux.