Et en Tunisie, comment ça se passe ?

Photo: Emmanuelle Mélan – Mission à Tunis, 2017.

Début décembre, une délégation tunisienne est venue nous rendre visite dans le cadre de la collaboration internationale entre notre association et le Ministère de la Santé tunisien autour de la question de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales qui a commencé en 2016. L’objectif de cette collaboration, qui se sera étendue sur une période de sept ans touchant à sa fin en 2023, est la formation et la supervision d’un groupe de vingt professionnel·les  de toutes les régions de Tunisie, pour qu’ils et elles soient à leur tour en mesure de former d’autres professionnel·les à la problématique spécifique des violences conjugales et intrafamiliales. La directrice de Solidarité Femmes Josiane Coruzzi s’est ainsi rendue à plusieurs reprises en Tunisie en tant que formatrice et pour superviser les professionnel·les œuvrant sur place.

Les futur·es formatrices et formateurs tunisien·nes, depuis le début du projet, sont venu·es, par petits groupes et à tour de rôle, en Belgique dans le cadre de visites d’études et dans une dimension d’échange, intrinsèque au projet.

Elles étaient en ce mois de décembre 2022 quatre médecins à venir braver la météo belge : Dr Fariel Idriss, médecin urgentiste à l’hôpital universitaire Charles Nicolle à Tunis, Dr Najoua Abderrabba, Sous-Directrice en charge de la formation médicale et paramédicale à l’ONFP (Office National de la Famille et de la Population), Dr Saida Ouenniche, Sous-Directrice à la Direction Générale de la Santé et Dr Saloua Hadhri Shimi, médecin prestataire de l’ONFP à Monastir, experte en santé sexuelle et reproductive.

Au programme de leur séjour en Belgique, outre la découverte de nos infrastructures et des moments d’échanges avec nos travailleuses et travailleurs et avec les femmes actuellement hébergées au refuge, on peut citer la visite du CPVS (Centre de Prévention des Violences Sexuelles) de l’hôpital Saint Pierre à Bruxelles, une rencontre avec Mme Deborah Kupperberg du service de l’Egalité des Chances et une autre avec le grand Saint Nicolas en personne lors du spectacle annuel que notre équipe éducative organise chaque année avec les enfants et les femmes hébergé·es.

Le projet de collaboration s’inscrit dans une stratégie nationale tunisienne de lutte contre les violences envers les femmes au sens large, qui a été initiée en 2008 et a fait l’objet de différentes réactualisations au fil des années. En 2017, surtout, une loi organique contre les violences envers les femmes est votée : la loi 58/2017. Cette loi donne une définition interministérielle des violences. Elle pose aussi un cadre au sein duquel il est maintenant plus facile d’agir et d’intervenir, en coordination avec les différents ministères compétents.

Quelle est la situation des femmes en Tunisie ?

En 2010, une étude du CREDIF a mis en lumière que 47 % des Tunisiennes âgées de 18 à 64 ans déclaraient avoir subi au moins une forme de violences au cours de leur vie et presque 33 % au cours des douze mois précédents (source) . Qu’en est-il plus de dix ans après avec les différentes réactualisations du plan national de lutte contre les violences faites aux femmes et la loi de 2017 ? Ce pourcentage a-t-il diminué ? On est en droit de l’espérer en tout cas. La prise de conscience de la problématique des violences faites aux femmes est indéniable. Parmi ces violences, les violences conjugales sont celles qui amènent le plus de femmes aux urgences des hôpitaux. Encore tabou il y a quelques années, on en parle maintenant de plus en plus. A l’université, depuis peu, les étudiant·es suivant un cursus médical peuvent même s’inscrire à un master en victimologie. On se rend compte aussi que la violence conjugale a un coût, tant économique que social, du point de vue sociétal. Ce sera d’ailleurs l’objet d’une prochaine enquête du CREDIF en 2023.

La Tunisie a fait de grands pas en avant au cours des dernières années. Un travail de sensibilisation important est également en train d’être réalisé au niveau de la justice et de la magistrature. Nos quatre médecins s’en félicitent car faire bouger les juges, nous disent-elles, n’a pas été simple.

Le travail de formation des professionnel·les porte ainsi doucement ses fruits.

Mais en pratique, comment se passe la prise en charge des victimes de violences conjugales en Tunisie ?

Un premier contact est établi avec la police. La Tunisie compte vingt-sept brigades policières spécialisées pour la prise en charge des femmes victimes de violences. Quand c’est possible, ce sont des femmes agents de police qui reçoivent les victimes et elles le font dans un bureau séparé. Ce premier contact avec la police est suivi par un examen médial aux urgences au terme duquel sera délivré à la victime un certificat médical initial qui est totalement gratuit. L’ONFP dispose, sur l’ensemble du territoire national, de structures de première ligne qui ont la capacité de recevoir les femmes victimes et de leur offrir notamment des consultations psychologiques. La Tunisie compte neuf centres d’hébergement sous la tutelle du Ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes Âgées mais qui sont donnés en gestion à des associations.

L’ONFP travaille actuellement à la création d’unités régionales et à un référencement coordonné entre les différents services. Malheureusement, on constate encore de grandes disparités selon les régions.


Pour les médecins tunisiennes de la délégation, le nouvel objectif est de travailler à des formations spécifiques pour la prise en charge des victimes de violences sexuelles. Durant leur séjour en Belgique, c’est la visite du CPVS de l’Hôpital Saint Pierre qui a particulièrement retenu leur attention : elles le voient comme un modèle à suivre, qu’il serait en plus tout à fait envisageable d’importer en Tunisie. Les structures existent et s’y prêtent, il ne manque plus que les ressources humaines.

Une belle énergie ressort de leurs discours au cours de notre entretien. Nous ne pouvons qu’applaudir ces avancées rapides et la volonté – de la part des organes ministériels comme des professionnel·les de terrain – de mettre en avant le combat pour les droits des femmes et contre les violences dont elles sont victimes. Bravo, la Tunisie !


Vous nous lisez depuis la Tunisie et vous êtes victime de violences ou vous vous inquiétez pour une proche ? Appelez le 1899.