Au temps de… la puissance maritale

1958, en Belgique, c’est l’année de l’Exposition Universelle. On inaugure l’Atomium, on modernise la gare des Guillemins à Liège. 1958, en Belgique, c’est aussi l’année de la réforme du statut de la femme mariée dans le Code Civil. Une année qui ne marquera malheureusement pas la fin des inégalités juridiques au sein du couple marié, mais qui amorcera au moins le changement.

Le couple marié avant 1958 en Belgique

Jusqu’en 1958 en Belgique, le couple marié est soumis juridiquement au principe de la puissance maritale. Cette dernière entrave l’autonomie et la liberté (physique, intellectuelle, financière, etc.) de la femme mariée qui doit obéissance à son époux dans pratiquement tous les domaines. Le mariage, pour la femme, est un réel contrat d’assujettissement. Le code civil mentionne explicitement l’incapacité juridique de la femme mariée.

La femme est alors obligée d’habiter avec le mari et de le suivre partout où ce dernier juge opportun de résider. La femme ne peut exercer une profession sans autorisation de son conjoint, ni acquérir un bien à titre gracieux ou onéreux. Elle est privée de tout pouvoir d’administration des biens communs au couple mais aussi de ses biens propres.

Code Napoléon et droit romain

C’est le Code Napoléon, ancien code civil imposé en Belgique en 1804 durant l’occupation française et successivement réformé à plusieurs reprises, qui est à l’origine de la puissance maritale. Il affirmait la supériorité naturelle de l’homme sur la femme et l’unicité de direction nécessaire au sein d’un ménage. Ces deux prémisses ne pouvaient que déboucher sur la domination totale et absolue de l’homme sur la femme au sein du couple marié.

L’incapacité de la femme mariée est une idée elle-même empruntée au droit romain. La Révolution française avait pourtant vu l’émergence d’un projet de Code civil instaurant l’égalité des époux mais, comme on le sait, les aspects féministes du mouvement révolutionnaire français ont été tués dans l’œuf (ou sont passés sous la guillotine).

Le devoir d’éduquer et de protéger son épouse, le droit de la « corriger »

Au XIXe siècle subsiste ainsi l’idée médiévale que le mari a le devoir d’éduquer sa femme. L’infériorité intellectuelle des femmes est à l’époque attestée : comment en serait-il autrement au regard du faible accès des femmes à l’instruction et de la qualité médiocre de l’enseignement destiné aux privilégiées qui y ont accès ? L’obligation scolaire et la réforme de l’enseignement à l’initiative notamment de personnes comme Isabelle Gatti de Gamond feront d’ailleurs office de leviers d’émancipation pour les femmes.

Aussi, le mari a un devoir de protection vis-à-vis de son épouse, ce qui « l’oblige » parfois à surveiller ses fréquentations, à contrôler son courrier… Beaucoup de dénonciations de violences conjugales ont ainsi été classées sans suite étant donné que le mari pouvait légalement exercer sur sa femme un « droit de correction ».

Des inégalités nombreuses et qui perdurent

L’inégalité entre époux se vérifie également en cas d’adultère. Celui-ci est en effet plus sévèrement puni s’il est commis par la femme. Jusqu’en 1974, un homme peut demander le divorce si sa femme le trompe, tandis qu’une femme ne peut demander le divorce pour cause d’adultère que si l’infidélité a été commise au domicile conjugal.

Quand le couple a des enfants, la puissance maritale s’élargit pour devenir également puissance paternelle. Le père a plus de droits que la mère sur leurs enfants. L’égalité entre les deux parents ne sera affirmée qu’en 1974. Un signe de cette prépondérance paternelle subsiste aujourd’hui et n’est que très peu remis en cause, malgré les possibilités nouvelles qui s’offrent aujourd’hui aux jeunes parents : la transmission du nom de famille du père pose en effet question. Celle-ci marque assez clairement l’appartenance des enfants au père. Notons d’ailleurs que même si pour la législation belge le nom de famille officiel d’une personne a toujours été celui reçu à la naissance indépendamment de tout lien conjugal, il est encore fréquent que des femmes soient appelées officieusement par leur nom « de femme mariée » et non par leur nom « de jeune fille » (comme si le célibat avait le pouvoir de conférer la jeunesse éternelle…). Ce passage du nom du père au nom de l’époux ne représente-t-il pas une forme de transfert de propriété ?

Dans la même logique d’appropriation de l’autre, une femme belge mariée à un étranger perdait automatiquement sa nationalité pour acquérir celle de son mari. L’inverse n’avait évidemment pas lieu.

1958 : l’égalité, enfin ?

Le 30 avril 1958, avec vingt ans de retard sur la France, la loi belge supprime finalement la puissance maritale et proclame enfin le principe d’égalité des époux. Mais en pratique, seules les femmes mariées sous régime de la séparation de biens bénéficient de cette réforme. Pour celles qui sont mariées sous régime de communauté de biens, rien ne change ou si peu (une attention majeure leur est accordée par la Justice, quelques dérogations sont envisagées en cas d’abus du mari).

Aussi, la fixation du domicile est encore dépendante de la décision univoque du mari.

Ce n’est qu’en 1976 que la réforme des régimes matrimoniaux donne enfin une portée générale au principe établi en 1958. La fixation du domicile par le mari est alors également abolie.


En 2022, que reste-t-il, dans l’imaginaire collectif et dans nos vieilles habitudes, de cette puissance maritale ? Les femmes sont-elles toutes, enfin, des sujets libres et autonomes au sein de leur couple ?

Sources :
  • Philippe Godding, « La femme sous puissance maritale (1804-1958) », dans Femmes et pouvoirs. Flux et reflux de l’émancipation féminine depuis un siècle, sous la direction de Luc Courtois, Jean Pirotte et Françoise Rosart, 1992, Université de Louvain, Recueil de travaux d’histoire et de philologie, sixième série fascicule 43.
  • « Pas à pas. L’Histoire de l’émancipation de la femme en Belgique », brochure réalisée à la demande du secrétaire d’état à l’émancipation sociale Mme Smet, 1991.
  • Daphné Van Ossel, « La femme mariée : une mineure sous l’autorité de son époux », mars 2020.
  • Claude Renard, « La réforme du statut de la femme mariée en Belgique », in Revue internationale de droit comparé, année 1958, vol. 10 – n. 1, pp. 56-64.
Illustrations (« customisées » par Solidarité Femmes):
  • Anonyme, « Mariés d’un jour », Musée Carnavalet.
  • Henri Cartier-Bresson, « Paris », 1957, Musée Carnavalet.
  • Gosta Wilander, « Couple sur le Pont des Arts », 1967, Musée Carnavalet.
  • Henry Clarke, « Robe de mariée en tulle point d’esprit Virginie » (pour Vogue Jeune Mariée), 1957, Palais Galiera, Musée de la Mode de la Ville de Paris.