
En ce début d’année 2025, un vent nouveau souffle chez Solidarité Femmes. La direction s’est dédoublée ! Josiane « Jojo » Coruzzi, directrice générale de l’ASBL, s’apprête à passer le précieux flambeau de la direction de la maison d’hébergement à Cécile Rugira. Cécile est loin d’être une inconnue pour nous : elle a parcouru un petit bout de chemin au sein de notre organe d’administration quand celui-ci a été renouvelé. Elle a aussi, avec sa précédente casquette de directrice régionale chez Vie Féminine, eu à plusieurs reprises l’occasion de collaborer avec Solidarité Femmes autour, notamment, de projets d’éducation permanente réalisés dans l’entité louviéroise. A quelques jours de son entrée en fonction, nous l’avons rencontrée pour faire plus ample connaissance.
Quel est donc le parcours de Cécile avant d’arriver au sein de notre équipe, quels sont les chemins qui l’ont amenée jusqu’à nous ?
Cécile est née et a grandi en Afrique, au Rwanda, pays qu’elle a dû quitter à la fin de ses études de licence en pharmacie. Une guerre fratricide dont le souvenir est encore aussi vif que glaçant pour beaucoup d’entre nous l’a précipitée sur les routes de l’exil, où elle a traversé six pays avant d’atterrir chez nous en Belgique comme demandeuse d’asile, en 2000 avec la nécessité de repartir à zéro : son diplôme n’est pas reconnu – comme cela arrive presque systématiquement pour les personnes provenant d’Afrique en raison des méandres du système administratif et d’une non-harmonisation des systèmes d’études quelque peu aberrante à l’heure de la mondialisation. Qu’à cela ne tienne, Cécile s’arme de courage et s’inscrit à un cursus lui permettant de devenir assistante en pharmacie. Elle trouve un emploi à Mons dans son domaine, mais reste sur sa faim « académique » : elle veut un diplôme universitaire belge et s’inscrit donc, tout en continuant à travailler, au master en politiques économiques et sociales de l’UCLouvain. Ce master l’aide à comprendre le monde et aussi, en particulier, la Belgique. Il lui confère également des clés de lecture pour mieux comprendre les inégalités et les dominations sources de guerres et autres maux du monde. Surtout, elle le perçoit comme un outil fondamental pour devenir une actrice de changement. Son parcours professionnel prend un virage surprenant.
Son master en poche, Cécile passera neuf années au MOC Hainaut Centre en tant que coordinatrice pédagogique. Ses missions principales consistent en la mise en place de formations à destination de personnes d’origines étrangères ou éloignées du circuit du travail afin de favoriser leur insertion professionnelle. Au MOC, Cécile travaille énormément sur les questions d’interculturalité et le vivre-ensemble. Après son expérience au MOC, elle est engagée en tant que directrice ajointe et successivement en tant que directrice régionale chez Vie Féminine. Son chemin croise vite celui de l’équipe de Solidarité Femmes. Cinq ans après son entrée chez Vie Féminine, elle est engagée pour assurer la direction de notre maison d’hébergement.
L’engagement féministe de Cécile est de type intersectionnel. Le féminisme intersectionnel – théorisé par des féministes américaines (et pour certaines afro-américaines) – offre une lecture des dominations combinées : en tant que femme, en plus de la domination patriarcale, on peut subir une domination de classe et de race. Ces différentes dominations se conjuguent pour affaiblir ultérieurement les femmes. Cécile le voit bien : au sein même du féminisme, on retrouve des dynamiques de domination autres que patriarcale envers notamment les femmes voilées ou noires, envers les femmes sans emploi ou sans instruction, etc. Quand les oppressions s’additionnent, les possibilités d’empowerment des femmes quant à elles diminuent.
« Je suis féministe depuis toute petite », dit Cécile qui a grandi au sein d’une grande famille dont trois frères. Elle remarque très tôt la différence de traitement dans l’éducation que leur donnent leurs parents. « Le patriarcat, on le perçoit dès la petite enfance. » En grandissant, elle se rend compte que les inégalités ne sont pas présentes seulement au sein de sa famille, mais que la société entière en est imprégnée : la justice, l’emploi… L’engagement de Cécile chez Vie Féminine n’est pas anodin : il lui permettra de concrétiser ce féminisme qui l’habite depuis toujours. Il lui permettra aussi de mettre en pratique ses convictions et ses compétences. Le passage chez Solidarité Femmes s’inscrit dans un tracé similaire.
Cécile est entrée en service le lundi 6 janvier dernier. Face à l’immensité de sa mission, elle est en ce moment dans une position d’observation du travail de direction et d’apprentissage de tout ce que Josiane a à lui transmettre. Pour un certain bout de temps, elle conservera cette posture nécessaire à une bonne transmission des savoirs. Jojo, cette année, célèbrera ses vingt ans de direction de l’ensemble des services… après y avoir passé presque autant d’années en tant que travailleuse (éducatrice, animatrice EP et juriste). Cécile sera à partir de maintenant un soutien pour elle, une directrice adjointe qui va alléger son travail colossal et veiller à maintenir la continuité de tout ce qui est actuellement mis en place.
Forte de son expérience dans le champ de l’interculturalité et de son bagage théorique, elle espère renforcer et visibiliser l’intervention féministe et interculturelle déjà présente au sein du refuge. Cela passera sans doute par la production d’écrits mais aussi et peut-être surtout par la formation continue du personnel. Les savoirs étant en évolution constante, il est important de rester informé·es pour pouvoir offrir une intervention la plus adéquate possible aux femmes et aux enfants que nous accompagnons.
Les premières impressions de Cécile, au bout de presque deux semaines chez Solidarité Femmes sont positives : la culture d’entreprise et de solidarité des travailleuses (et de notre unique travailleur homme !) l’a beaucoup touchée. Elle a découvert une équipe de professionnel·les pour qui les mots entraide et proximité ne sonnent pas creux. L’équipe de Solidarité Femmes partage les mêmes valeurs et marche ensemble vers des objectifs communs en faveur des femmes et des enfants – elle lui a donné un signal des plus rassurants.
Son enthousiasme se voile quelque peu quand elle pense au climat politique actuel, au risque concret de voir nos subventions diminuer dans l’avenir. Il est temps, pour Cécile, de conscientiser les citoyens et les citoyennes au devoir qui est le leur de soutenir nos actions et de porter notre combat avec nous.
Un des moteurs de Cécile, dans sa nouvelle mission, et à l’image du parcours qui l’a conduite jusqu’à nous, est la volonté de politiser la question des droits des femmes et celle des violences. Il faut des actions concrètes pour fournir protection et soutien aux femmes qui ont subi et subissent des violences, mais il est fondamental de ne pas en rester là et de se battre pour faire entendre et accepter ces mots : la violence conjugale est politique. C’est la condition pour faire bouger les lignes.