Cédric et Dylan

Dylan a été engagé par Solidarité Femmes il y a trois ans. Il est éducateur spécialisé et travaille essentiellement avec les enfants de la maison d’accueil. Parmi ses missions, il y a bien sûr, comme pour tous les membres de l’équipe, celle d’apporter une sécurité aux femmes hébergées. Mais Dylan a aussi et surtout pour mission de travailler le lien mère-enfants souvent égratigné par les années de violences. Avec les enfants, il travaille sur les émotions, la confiance en soi et les stéréotypes. Il sensibilise aussi les mamans et les aide dans leurs démarches au quotidien.

Cédric, au moment de notre entretien, entamait sa sixième année au sein de l’association. Il a la responsabilité des gros travaux de rénovation et de la prévention des incendies. Avec Coline, il s’occupe aussi de l’hébergement des femmes qui quittent la maison d’accueil : visite et état des lieux, préparation de l’emménagement, aide au déménagement, etc. Il est là pour les petits problèmes techniques qu’elles pourraient rencontrer dans les premières semaines qui suivent leur envol.

Comment c’est, d’être les deux seuls hommes au sein d’une équipe de femmes, dans une association qui vient en aide aux femmes ?

Dylan me dit qu’il trouve important qu’il y ait un homme dans l’équipe. D’une part pour les enfants, qui ont la possibilité de se confronter à une figure masculine non violente : cela permet de « casser » cette image de brutalité associée chez eux aux hommes. En outre, il ressent chez certains garçons un besoin d’identification. Cédric le confirme. Il se souvient du premier projet sur lequel il a travaillé : la création de la salle de jeux. A cette époque, une femme était hébergée avec ses deux fils, tous les deux toujours très énervés. Cédric prenait le plus âgé des deux avec lui pour le distraire et l’enfant arrivait à s’apaiser.

Pour les femmes hébergées, la présence des deux hommes au refuge présente également des avantages. Elles ont la possibilité de se confronter au quotidien avec des hommes non-violents qui entretiennent avec elles des relations égalitaires basées sur le respect. Le rapport des femmes aux travailleurs hommes de l’association n’est pas le même pour toutes : certaines femmes n’auront aucune difficulté à établir une relation détendue avec eux, d’autres en revanche seront méfiantes, réticentes à l’idée de confier les enfants à l’éducateur ou de se retrouver seules dans la même pièce que lui. Dylan, lors de ses études, avait réfléchi à cet aspect bien particulier de ce qui deviendrait son premier « vrai » emploi : son TFE portait précisément sur la manière d’établir une relation de confiance en tant qu’éducateur masculin avec des femmes victimes de violences conjugales. Avec les femmes qui ne se sentent pas à l’aise en sa présence, il va entreprendre un travail de sensibilisation en douceur. Sans les forcer, sans les brusquer, il va laisser faire les choses petit-à-petit. Il va avoir recours à l’humour aussi. Il me dit enfin que l’effet de groupe joue en sa faveur : les femmes qui connaissent Dylan depuis plus longtemps vont rassurer les nouvelles et les aider à se libérer de leurs craintes et de leurs aprioris. Aussi, il va tenter, de manière discrète et sans forcer le trait, de leur montrer des exemples positifs de conduite masculine : un homme aussi peut s’occuper des enfants, un homme aussi peut participer aux tâches ménagères quotidiennes. Cédric se rappelle d’une ancienne hébergée qui a mis quatre mois pour réussir à lui dire bonjour. Avant d’arriver au refuge, pendant huit ans, son conjoint violent avait constitué la seule et unique présence masculine de son entourage.

Ces présences masculines toxiques – les ex-conjoints – ont parfois un rapport ambigu avec les travailleurs hommes de Solidarité Femmes. Certains cherchent en eux « un allié », d’autres les soupçonnent d’entretenir des relations amoureuses avec leur ex-femme. Dans un cas comme dans l’autre, Dylan et Cédric se retrouvent victimes des stéréotypes dont ces hommes les affublent … en tant qu’hommes. Comme si, d’un côté, il existait une sorte de solidarité masculine en mesure de les corrompre et comme si, d’un autre côté, les hommes ne pouvaient retenir leurs instincts sexuels. Ce n’est jamais difficile, dans un cas comme dans l’autre, de remettre les choses à leur place. Même si, pour ce faire, Dylan a déjà bénéficié d’une protection policière au Tribunal…

Dylan, qui aime les défis, voulait, en sortant de sa formation d’éducateur spécialisé, se retrouver dans une équipe où il aurait pu éprouver des difficultés liées à son genre. De par son stage et son TFE, il était sensibilisé aux violences conjugales. Il l’était aussi grâce à sa belle-mère, Nathalie, qui travaille pour Solidarité Femmes depuis de nombreuses années.

Cédric est arrivé chez Solidarité Femmes via un parcours très différent. Il n’a pas le profil d’un travailleur social à la base. Avant, il était entrepreneur. Il connaissait Solidarité Femmes pour y avoir travaillé, comme collaborateur externe. Il n’a pas découvert la réalité des violences conjugales en franchissant les portes du refuge, ses outils à la main. Il l’a vécue en première ligne, quand il était enfant, sa maman ayant parcouru ce douloureux chemin. Il a lui-même connu une maison d’accueil et se souvient de son caractère vétuste. Cédric avait donc particulièrement à cœur d’embellir ce lieu de passage, de lui donner du « punch » pour alléger quelque peu le fardeau des enfants qui y sont accueillis.

Est-ce que des hommes peuvent être féministes ? Est-ce que vous vous sentez féministes ?

Bien sûr ! Un homme féministe, c’est simplement un homme qui veut l’égalité femmes-hommes – une égalité qui d’ailleurs devrait exister sur tous les plans, insiste Dylan : quelle que soit l’origine sociale de la personne, sa couleur de peau, son orientation sexuelle, etc. Cédric affirme qu’il ne raterait pas une manif du 8 mars ou du 25 novembre. Ce sont des dates qui font sens pour lui. Être féministe, c’est vouloir que le monde s’améliore quant à cette distinction entre l’homme et la femme qui pour lui à l’heure actuelle n’a même pas de raison d’être…

Mais s’ils pouvaient changer quelque chose dans la société actuelle, pour atteindre l’égalité justement, quelle serait-elle ?

Pour Dylan, c’est un changement des mentalités qui est urgent. Il faut impérativement travailler sur les stéréotypes, ceux qui pèsent sur les femmes mais aussi sur les hommes. La vision de comment doit être « un homme » est aberrante, elle doit changer. Cédric abonde dans son sens : ces stéréotypes ne servent à rien. Et pourtant ils continuent à circuler abondamment, même dans les conceptions et les discours des femmes, même au sein de l’équipe. C’est difficile de changer ça, me dit Cédric. Si on se débarrassait de ces idées reçues, on pourrait vraiment se concentrer sur l’égalité – l’égalité salariale par exemple – car il y a encore beaucoup de chemin à faire.

Dylan reste néanmoins optimiste. Mine de rien, beaucoup de choses ont évolué positivement.

Cédric soulève un autre problème : celui de l’autonomie des femmes. Un terrain vierge à conquérir pour beaucoup d’anciennes victimes de violences conjugales. Et une conquête qui n’est pas simple, pas évidente pour toutes.

Au moment de prendre leur envol, de quitter la maison d’accueil et de partir vivre seules ou avec leurs enfants, sur de nouvelles bases, loin du conjoint violent, beaucoup de femmes ressentent une montée de stress, elles sont déstabilisées. La tentation est forte de s’appuyer sur les travailleuses et travailleurs du refuge et de laisser s’installer une nouvelle forme de dépendance. Cédric en est témoin et il sait où doit être sa place : en retrait.

L’autonomie, me dit Dylan, est une clé qui permet aux femmes de travailler leur confiance en soi. Il me donne l’exemple récent d’une dame hébergée qui avait peur de téléphoner à son médecin du fait de sa faible maitrise du français. Dylan a travaillé tout cela avec elle : il est resté à ses côtés pour lui donner du courage, mais n’a pas appelé le médecin à sa place, il l’a laissé faire. Et elle a réussi. Depuis, ce petit obstacle de son quotidien n’est est plus un.

Recevoir des nouvelles des femmes ayant bénéficié d’un hébergement généralement fait chaud au cœur. Dylan se réjouit toujours de voir l’avant-après, parfois radical, de certaines femmes qui retrouvent le sourire après avoir été au trente-sixième dessous.

Cédric se souvient de ses débuts au sein de Solidarité Femmes : ils n’ont pas toujours été faciles. Quand il a été engagé, cela faisait quelques temps que l’association n’avait plus compté de travailleurs hommes. C’est l’humour qui l’a toujours aidé à dépasser les difficultés.

L’humour : une ressource fondamentale au refuge. L’humour met à l’aise, il déstresse, il abolit les barrières. L’humour facilite la relation entre les travailleuses et travailleurs d’un côté, les femmes hébergées de l’autre. L’humour, enfin, est fondamental pour les enfants.

Et en même temps, Dylan nous dit être strict avec ceux-ci. Être autoritaire n’est pas synonyme de violent. Bien sûr, il faut expliquer pourquoi on n’est pas content, communiquer. Dans un contexte de violences, beaucoup de mamans voient leur autorité parentale s’effacer. Elles n’arrivent plus à poser de cadre. Le travail de Dylan consiste également en un soutien, un support à leur parentalité, pour les aider à retrouver le rôle qu’elles doivent tenir dans l’organisation familiale. Ce travail se fait avec l’accord et éventuellement sur la demande de la maman : dans son rapport filial, aucun·e professionnel·le ne se met jamais entre elle et ses enfants – ce point est fondamental pour qu’elle puisse se réapproprier sa place de mère.

Cédric est content de voir que la maison évolue. Chaque pièce a été rafraichie : les chambres, le salon, les bureaux. Les années passent mais les choses ne se figent pas, elles restent en mouvement.

Même si la violence conjugale est une réalité sombre et mortifère, la maison d’accueil est un endroit plein de vie. Les femmes qui y arrivent abimées y prennent le temps de panser leurs blessures – celles du corps, celles du cœur – et apprennent à voir le monde d’une autre façon. Le monde, au fur et à mesure qu’elles découvrent ou retrouvent leur autonomie et leur confiance en soi, leur apparait à portée de mains et à portée de rêves. Pour la première fois pour certaines, des hommes leur apparaissent comme des alliés. Avec eux comme avec le reste de l’équipe, elles réapprennent à vivre libres et sans peur.


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