Graziella

Graziella, thérapeute et musicienne

Graziella travaille chez Solidarité Femmes depuis bientôt trente ans (1992). Elle a d’abord travaillé comme éducatrice au refuge, principalement avec les enfants, avant de devenir thérapeute dès que le service ambulatoire a ouvert ses portes en 1999. Cela fait maintenant douze ans qu’elle accueille donc au sein de l’ambulatoire des victimes et des survivantes, qu’elle les accompagne dans leur parcours de reconstruction. Comme beaucoup de collègues, elle assure également un renfort pour la ligne d’écoute (0800 30 030) et passe encore quelques weekends au refuge.

Avant Solidarité Femmes, Graziella travaillait au Club Med ! Et avant encore elle était éducatrice dans une école.

Elle me dit qu’elle a toujours été engagée grâce à sa guitare.

Elle est en effet la voix de Solidarité Femmes. Depuis 1992, elle imagine avec son instrument des covers de chansons connues qu’elle remanie pour sensibiliser aux violences conjugales. La diffusion des chansons est interne, sauf quand elle met son talent au service des Chanceuses pour mettre en musique leurs créations théâtrales comme avec Allez Debout ! sur l’air de Bella Ciao.

Apprendre en continu et remplir des disques durs

Graziella a appris les ficelles du métier de thérapeute sur le terrain et est un bel exemple de ce que peut bien signifier « la formation continue ». Thérapie du trauma, dissociation, hypnose… Elle me montre ses notes, ses synthèses, ses ouvrages de référence, ses enregistrements… Graziella, apprendre, elle aime ça.

Ses disques durs renferment plus de dix ans d’apprentissage thérapeutique spécialisé en violences conjugales, ils renferment aussi des souvenirs, des photos et vidéos de presque trente ans de carrière au sein de Solidarité Femmes. Une vraie caverne d’Ali Baba. En me montrant ses trésors, elle tombe sur une séquence vidéo d’il y a environ vingt-cinq ans où on voit un petit garçon hébergé au sein de la Maison d’accueil avec sa maman. Graziella s’en émeut, ses yeux se mettent à briller. Elle me dit qu’elle l’a revu récemment. Il est devenu, comme on dit, « un type bien », ce petit garçon. Plus de deux décennies se sont écoulées et pourtant il se souvient encore de quand elle lui chantait L’Enfant et l’oiseau. Elle me confirme une sensation : le langage universel de la musique lui a ouvert bien des cœurs et l’a aidée plus d’une fois à briser la glace dans des situations difficiles.

Calquer son pas sur celui de la survivante et penser à la sécurité de cette dernière

Quand je demande à Graziella de m’expliquer le déroulement d’un suivi, je me rends compte qu’elle fonctionne comme un couteau-suisse. Forte de ses connaissances, ses formations et sa pratique de terrain, elle s’adapte à son interlocutrice et au moment présent. En fonction de la personne qu’elle a en face d’elle et surtout de ce que celle-ci va lui dire (- de ce qu’elle va bien vouloir lui dire -), elle va comprendre dans quelle direction va aller la séance et quelle approche spécifique adopter. Tout au long des rendez-vous, elle va calquer son pas sur celui de la femme qui vient en consultation, elle va se placer au plus près d’elle.

Quelle que soit la tournure que peut prendre la séance, il est cependant un point de départ fondamental à partir duquel Graziella partira systématiquement tant que ce sera nécessaire : la sécurité de la personne et l’évaluation de sa situation du point de vue d’une dangerosité potentielle. Graziella va, le cas échéant, l’aider à élaborer un scénario de protection. Dans une situation de violences conjugales, pouvoir se mettre à l’abri est la chose la plus importante.

Je lui demande combien de temps dure un parcours thérapeutique de type psychosocial avec elle au sein du service ambulatoire. Elle me répond en moyenne quatre ans, avec des rendez-vous toutes les trois semaines environ, d’une durée d’une heure trente chacun. En fonction de l’état des personnes, des événements extérieurs (l’approche d’un jugement, des problèmes imprévus avec les enfants…), les séances peuvent se rapprocher, ou au contraire s’espacer.

Ce suivi est évidemment totalement gratuit.

Je lui demande si les femmes qui sont encore en couple avec le conjoint violent et qui fréquentent le service ambulatoire généralement arrivent à le quitter. Elle me répond que oui, pour la plupart d’entre elles.

L’amour/amor n’est pas l’amour à mort

Vers la fin de notre entretien, Graziella me laisse quelques minutes seule dans son bureau, pendant qu’elle part désinfecter les parties communes du service – covid oblige. Juste le temps d’écouter sur sa tablette sa version « Violences conjugales » de Puisque tu pars de Jean-Jacques Goldman.

« A ses cotés je danse, mais la peur me prend au ventre, la douleur me ronge encore et l’angoisse me dévore. Ce n’est pas sans remords que je quitte mon trésor. Enfin, l’amour/amor n’est pas l’amour à mort… »

C’est émouvant d’entendre la voix de quelqu’un comme Graziella qui travaille pour Solidarité Femmes depuis presque trente ans.

C’est émouvant d’écouter un texte inspiré de mille rencontres, dont une grande partie a eu lieu justement ici, dans ce petit bureau.

Tout en écoutant la chanson, mon regard voyage autour de moi. Mes yeux se posent sur le dépliant de la Ligne d’Ecoute 0800 30 030. Sur une photo d’un groupe de collègues. J’y reconnais Julie et Emilie. Sur un poster schématisant le Processus de Domination Conjugale ou PDC. Sur la photo d’un homme, en noir et blanc (le papa de Grazi ?). Sur des bouquins, des tas. Parlant de dissociation d’origine traumatique, de métaphores et de suggestions hypnotiques.

« Je reprends les rênes, je me libère de ses chaines. Au-delà de ma patience et de son indifférence… »

Je regarde le fauteuil vide, derrière le plexi. A côté de la fenêtre derrière laquelle le soleil brûle en cette après-midi de juin. Dehors il règne une chaleur étouffante.

« Sache que dans mon histoire je veux que tu gardes en mémoire qu’il y a toujours une issue, qu’on garde toujours le dessus. Puisqu’il me faut partir, à défaut de revenir, sache qu’au fonds de moi je dois me reconstruire, toutes ces années. »

Dans ce fauteuil, demain, c’est Laila qui prendra place. Demain, j’écouterai son histoire.


  • Notre service ambulatoire est actif sur rendez-vous à La Louvière du lundi au vendredi de 9h à 17h. Contactez le 064 21 43 33.