Vous consentez… Un texte des Confidentielles

Solidarité Femmes a reçu ce texte très juste et très touchant de la part du collectif Les Confidentielles. Ce collectif réunit huit femmes autrices qui, un jeudi soir tous les deux mois, à la Cellule 133 à Saint-Gilles, partagent sur scène les textes qu’elles écrivent sur leur condition de femmes. Ces textes sont souvent inspirés de leur propre expérience. Celui-ci touche à la question du consentement sexuel au sein du couple et de ce que l’on doit bien appeler le viol conjugal. Si vous vous retrouvez dans ces mots, n’hésitez pas à appeler le 0800 30 030 pour en parler ou à contacter SOS Viol. Ce texte sera lu le 23 novembre prochain à 20h (voir l’événement Facebook). Merci aux Confidentielles pour ce partage.


VOUS CONSENTEZ…

Il faut que je vous parle.
J’étais avec un homme pendant 12 ans. Je suis séparée aujourd’hui.
Je n’ai jamais vraiment parlé de ça, enfin si, mais c’est parce que je suis folle. C’est ce qu’il m’a dit en tous cas.
Il faut que je vous parle.

Pendant 12 ans, j’ai fait l’amour à peu près deux fois par semaine. Ce qui fait environ 1250 fois en tout.
J’ai pris du plaisir peut-être une vingtaine de fois, durant les premiers mois, quand mon cerveau aveugle se contentait du fantasme, de ce que cet acte représentait.
1250-20 ça fait 1230. Je me suis forcée à faire l’amour 1230 fois. Trois séances ont toutefois été utiles à la procréation.
J’ai donc fait l’amour 1227 fois dans le seul but de ne pas perdre mon partenaire, de garantir sa fidélité et asseoir ma dépendance. Je suis folle.
Folle d’avoir utilisé mon corps à des fins addictives? Folle de ne pas avoir ressenti de plaisir avec un homme dont j’étais éperdument amoureuse?
Peu importe, je suis folle.

Il m’a touchée 5 fois. Cinq fois il a préparé la venue de son sexe hostile dans mon corps terrorisé. 1250 pénétrations – 5 préliminaires ça fait 1245 pénétrations à sec.
Alors j’ai d’abord refermé mes jambes devant l’attaque du mâle parce que j’avais mal.

  • Mais enfin, il a dit, pourquoi tu fermes les jambes comme ça ?
  • Je n’en sais rien, je ne fais pas exprès.
    Et il a continué. Il a continué deux fois par semaine, pendant 12 ans.

Sur 1250 parties de jambes pétrifiées, à peu près 25 ont duré plus de 5 minutes. 1250 – 25 ça fait 1225 “plans cuisses fermées” expédiés rapidement sans prévenir.
Et jamais une panne, mais une érection toujours impeccable, à mon grand regret.

Sur 1250 parties, une quarantaine ont eu lieu la nuit, quand j’étais en train de dormir, réveillée par un désir absurde, à demi conscientisé. Une seule a été effectuée quand j’étais totalement ivre, sans jugement.

Une dizaine de fois j’ai exprimé. D’abord à lui, au cœur d’une dispute, je lui ai dit que j’avais besoin qu’il me prépare, qu’il me montre plus de tendresse, d’amour. Une dizaine de fois il m’a dit qu’il ferait gaffe. Ça n’a pas fonctionné.
Une seule fois, j’ai pleuré. Le lendemain certes, mais j’ai pleuré. J’ai pleuré mon malaise, ma douleur et j’ai exprimé ce cadenas qui m’empêchait de dire non.
Ce jour-là, il m’a prise pour une folle.
“Tu exagères, tu ne devrais pas crier , tu ne devrais pas pleurer. Tu es folle.”

À trois personnes, j’ai raconté. À ces trois amies je me suis confiée. Et ce jour-là, elles aussi, elles m’ont prise pour une folle. “Tu exagères, tu devrais relativiser, regarde-le, il t’aime, il n’a rien à se reprocher.”
Ces amies-là le voient encore tout le temps, l’ont aidé à déménager quand je me suis enfuie et lui ont sans cesse répéter, à lui : “c’est difficile ce qui t’est arrivé.”
Je suis folle.

Je suis si folle que je vous parle à vous aujourd’hui, sans avoir peur de me tromper. Mes mots ne valent rien parce que son charme est plus puissant que la vérité. Mes mots s’envolent comme des frelons piquer vos âmes sensibles pour ensuite vous faire oublier.
Je suis folle.

Alors j’ai appris à me taire, j’ai appris à me défaire, j’ai appris que rien, sur Terre, ne pourra arrêter ces micro-violences pour vous si éphémères.
Oui j’exagère, oui, il est maladroit et oui, il n’aurait pas pu mieux faire. Oui, son sourire vous transporte de lumière et oui, j’aurais mieux fait de me taire.
Je suis seule aujourd’hui avec vos yeux compatissants qui iront vite rejoindre le déni.
Je suis seule. Je suis folle. Et souffrir quand on transperce mes ailes, c’est sourire et crier que j’en raffole.

Et pourtant avant de vous livrer ces mots sombres et malaisants, j’ai tapé sur Google le mot : consentement
En premier lieu est arrivé ceci :
une personne qui garde le silence ou ne fait rien ne donne pas son accord à un geste sexuel. Elle n’a pas besoin de résister physiquement pour montrer qu’elle n’est pas d’accord.

Je n’ai jamais dit « non », je ne lui ai jamais dit de cesser.
Je me suis allongée 1230 fois en attendant qu’il relâche la tension, j’ai chuchoté des Aïe, mais je ne lui ai jamais dit de cesser.
Des années je me suis servie de ces 4 minutes de paralysie pour m’envoler, ou pour partir plus loin, rédiger des listes de course ou de quoi subvenir aux besoins.

1230 c’est un nombre. Un nombre, c’est rationnel , c’est exact. 1250 fois.
20 consenties.
5 préparées
1 torture
25 moins rapides.
1250 fois c’est un nombre. C’est vrai, c’est dit, c’est là.
Je suis folle,
Mais est-ce que vous me croirez cette fois?

Un texte du collectif Les Confidentielles