« Les filles, on est fortes »

En janvier 2022, nous avons lancé sur Facebook un questionnaire à l’attention des femmes qui ont eu recours aux services de Solidarité Femmes. Ce questionnaire nous a permis de réunir treize témoignages anonymes. Nous remercions les participantes pour leur précieuse contribution.

Nous vous présentons ici leurs réponses.

Ex-hébergées et usagères du service ambulatoire

Au moins sept de ces femmes ont à un moment de leur vie été hébergées au sein de la maison d’accueil. D’autres ont bénéficié d’un suivi au sein du service ambulatoire. Certaines ont été réorientées vers les services de Solidarité Femmes par les écoutant·es de la ligne Ecoute Violences Conjugales. Une des répondantes précise que c’est un SAPV (Service d’Assistance Policière aux Victimes) qui l’a redirigée vers notre association.

Un premier contact rassurant, un bon souvenir

Nous leur avons demandé quel souvenir elles conservent de ce premier contact. Un bon souvenir, voire un très bon souvenir, ont répondu trois d’entre elles. Deux d’entre elles ont privilégié l’adjectif « rassurant » pour résumer ce premier contact. Une des répondantes se souvient de la peur de l’inconnu qu’elle a ressentie, elle était angoissée et en même temps s’est sentie protégée dès le moment où sa route a croisé celle de l’association. Une autre se sentait à ce moment « totalement perdue » et Solidarité Femmes, pour elle, représentait son « dernier espoir ». Le soulagement et la douleur cohabitaient dans le cœur d’une des femmes qui a été accueillie au refuge. Une autre ex-hébergée se souvient de ne plus s’être sentie seule. Enfin.

Des répondantes d’âges variés, toutes mères d’au moins un enfant

Sur les treize femmes qui ont répondu à notre questionnaire, deux avaient moins de 25 ans lorsqu’elles sont entrées en contact avec Solidarité Femmes pour la première fois. Une d’entre elles avait entre 25 et 30 ans. Deux femmes appartenaient à la tranche d’âge 50-60 ans. La majorité (huit femmes) avait à l’époque entre 30 et 40 ans.

Toutes les répondantes avaient au moins un enfant. Une seule de ces mères ne vivait plus avec son enfant (cette répondante étant âgée de plus de 50 ans, on peut présupposer que son fils ou sa fille était déjà adulte à l’époque).

Des violences assumant différentes formes

Au moins sept répondantes ont été victimes de violences physiques. Le même nombre de répondantes mentionne les violences psychologiques et/ou verbales. D’autres types de violences ont été citées : violences sociales, économiques, sexuelles, par proxy (s’en prendre à des proches, aux enfants, aux animaux de compagnie) et enfin violences post-séparation (qui à leur tour pourraient se décliner en violences économiques, psychologiques et verbales, etc.).

Dans les commentaires, une femme nous a donné des détails plus précis par rapport aux violences subies : elle témoigne avoir été « enfermée, insultée, empêchée de m’occuper de mes enfants, restreinte financièrement, dénigrée auprès de mes voisins et famille afin de m’en éloigner ».

D’autres témoignages anonymes donnent une idée de l’état mental de ces femmes lorsqu’elles subissaient les violences : « Détruite moralement j’ai essayé de mettre fin à mes jours à plusieurs reprises. » « Mon ex me détruisait à petit feu. »

Pour la plupart d’entre elles, ces femmes, lorsqu’elles sont entrées en contact pour la première fois avec Solidarité Femmes, n’étaient pas encore séparées du conjoint violent. Quatre d’entre elles étaient en couple depuis plus de dix ans, une de nos répondantes avait même passé plus de vingt ans avec son bourreau.

De quoi avaient besoin ces femmes lors de leur premier contact avec Solidarité Femmes

Lorsqu’elles ont poussé la porte du refuge ou du service ambulatoire pour la première fois ou lorsqu’elles ont contacté téléphoniquement notre association, elles avaient besoin de soutien et de compréhension d’une part, de protection et de sécurité d’autre part. Ces quatre mots ont été repris par plusieurs répondantes.

Une d’entre elles nous a écrit qu’elle avait besoin de se reconstruire pour reprendre confiance en elle, notamment pour s’occuper de ses enfants. La protection, la mise à l’abri des enfants est un autre motif récurrent. L’accompagnement juridique (ou la simple obtention de renseignements juridiques) et psychologique est également évoqué.

Certaines mentionnent le besoin d’un hébergement provisoire. Quand on part, en effet, on n’a pas forcément d’endroit où aller. Un hébergement provisoire est parfois nécessaire, le temps de récupérer ses documents, ses affaires. Le temps de souffler aussi. Et de retrouver la force de se relever.

Ce que Solidarité Femmes a pu faire pour elles…

Nous avons demandé à nos répondantes en quoi Solidarité Femmes les a aidées et en quoi malheureusement l’association n’a pas pu leur venir en aide : « Solidarité Femmes m’a aidée à être libre, à m’écouter et entendre mes enfants », « … à comprendre que j’étais une victime, que je pouvais faire confiance à d’autres personnes et avoir de l’aide », « … à ouvrir les yeux », « … à me reconstruire moralement et apprendre que je suis une personne qui a le droit de vivre et d’exister. »

Les violences conjugales mettent la personne qui les subit dans un état d’aliénation. Elles perdent confiance en elles et aux autres, elles perdent espoir. Elles ne se rendent pas forcément compte de l’ampleur des violences qu’elles subissent, ce qui est anormal dans un couple devient leur normalité.

Plus concrètement, l’aide apportée par Solidarité Femmes concerne aussi les problèmes administratifs, les démarches liées au divorce et à la garde des enfants, l’accompagnement social, médical et psychologique, la recherche d’un logement. Grâce à Solidarité Femmes, une de nos répondantes nous dit avoir pu s’inscrire à une formation en vue de trouver du travail. Une autre nous a répondu simplement que Solidarité Femmes l’a aidée à quitter son conjoint.

Car non, ce n’est pas évident de mettre un terme définitif à une relation violente et au processus de domination qui rend prisonnières les victimes de violences conjugales.

… Et ce qu’elle n’a pas pu faire

Malheureusement, Solidarité Femmes a été impuissante face à des décisions judiciaires non respectées, des violences post-séparation, des demandes d’hébergement des enfants non obtenues au Tribunal. La séparation ne marque pas toujours la fin des violences et les décisions judiciaires peuvent parfois sembler injustes ou absurdes.

Dans la mesure du possible, Solidarité Femmes peut épauler des femmes séparées d’un conjoint violent qui subissent encore ses exactions. L’asbl peut également venir en aide aux femmes se sentant dépassées par les décisions judiciaires qui ont suivi la séparation. Le parcours de reconstruction psychologique et de réinsertion sociale peut être long et semé d’embûches. Un soutien n’est pas négligeable.

Changer la société : suggestions de première ligne

Nous avons demandé aux répondantes ce qui devrait être amélioré dans la société actuelle pour lutter contre la violence conjugale ou pour aider les victimes à s’en sortir ?

Elles ont été plusieurs à pointer du doigt la police et la justice en souhaitant que les plaintes soient prises plus au sérieux et que les victimes bénéficient d’une écoute digne de ce nom, que la réaction des autorités soit plus rapide et plus forte, qu’on n’attende plus qu’il se passe une tragédie pour agir. Il faudrait prendre plus en compte la détresse des femmes et des enfants.

Une des répondantes nous écrit ceci : « Que la justice prenne conscience que le fait que l’auteur des violences soit présumé innocent ne fait pas de la victime une présumée coupable. Les violences sont banalisées et on ne cesse de nous rabâcher qu’un mauvais mari n’est pas un mauvais père, que l’on doit mettre le passé de côté. Mettre le passé de côté est un luxe que, personnellement, je n’arrive pas à me permettre. Je vis dans la peur, la peur pour mon fils et la peur pour moi-même. »

Nous avons également reçu des suggestions très concrètes : il faudrait des aides au logement pour les victimes, une généralisation des bracelets anti-rapprochement pour les hommes « qui ne lâchent rien », mais aussi une offre d’activités plus importante en journée pour les anciennes victimes qui ont besoin de se reconstruire et « d’évacuer le mal en elles ».

Une des répondantes met quant à elle l’accent sur la nécessité d’éduquer la société à l’égalité, de travailler avec les plus jeunes, leur expliquer qu’il est absolument nécessaire de dénoncer les violences, d’en parler. Une autre nous écrit qu’il faudrait que les mécanismes de la violence soient plus connus du grand public.

Des survivantes qui vont bien aujourd’hui… D’autres qui vont moins bien

Nous leur avons demandé comment elles se sentent aujourd’hui. C’est presqu’à l’unanimité qu’elles ont écrit se sentir mieux, se sentir bien, même « merveilleusement bien » pour l’une d’entre elles. Une des treize répondantes affirme malheureusement se sentir mal, « en survie ». Si elle nous lit, nous l’invitons à reprendre contact avec nous – l’accompagnement psycho-social et le travail autour du trauma en ambulatoire peut se prolonger plusieurs années après la fin des violences.

Les personnes qui nous ont répondu aller mieux ont, pour certaines d’entre elles, nuancé quelque peu leur réponse : elles vont bien mais se sentent encore fragiles, blessées, fatiguées, stressées, angoissées. Une d’entre elles dit avoir encore du mal avec les contacts physiques, même si elle a appris à refaire confiance. Une autre nous confie que la colère de ne pas avoir réagi plus tôt la ronge encore, elle travaille sur elle pour aller de l’avant. Aller de l’avant, c’est ce qu’essaie de faire une autre de ces femmes… tout en vivant avec la peur constante de croiser son ex-mari. La sous-estime de soi est une conséquence des violences pour une de nos répondantes : elle doit cohabiter avec ce handicap.

Conseils aux victimes de violences conjugales, conseils aux témoins

Nous avons demandé à nos répondantes quels conseils elles donneraient à une femme actuellement victime de violences. Chercher du soutien, partir et garder espoir : voilà ce qu’elles nous ont pratiquement toutes répondu.

« Les filles, on est fortes. Partez, sautez le pas des hébergements. »

Que diraient-elles en revanche à un témoin ?        

« Agissez, ne restez pas inerte, car c’est ça aussi qui nous tue. »

Même si ce n’est pas facile, ces femmes qui ont subi de la violence disent qu’il faut intervenir, ne pas rester sans agir, ne pas fermer les yeux. Appeler la police éventuellement (ndlr : vous pouvez également, en tant que témoin, si vous vous sentez démuni et ne savez pas comment vous comporter, nous appeler au 064 21 33 03 ou appeler le 0800 30 030). Approcher la victime (discrètement), lui montrer qu’elle n’est pas seule et que vous avez compris ce qu’elle vit, l’orienter vers un SAPV, vers la ligne d’écoute, vers une association. Une des répondantes nous écrit : « J’ai vécu de la violence pendant plusieurs années et je n’en avais même pas conscience et il a fallu de nombreuses personnes pour me faire ouvrir les yeux. » Les femmes victimes de violences conjugales bien souvent sont des personnes en situation d’isolement qui n’ont personne à qui se confier. Pouvoir compter sur quelqu’un peut être salvateur : pour prendre pleinement conscience de ce qu’on vit, pour avoir le courage de partir.

Encore un grand merci aux treize femmes qui se sont confiées sur leur expérience et leur ressenti. Nous leur souhaitons une reconstruction rapide et un avenir heureux.

Photo: Unsplash (Milan Popovic)