Nous avons rencontré Bertrand Lebrun qui, pendant un an, va réaliser une recherche-action sur le DiAPE – Dispositif d’Accompagnement Protégé des Enfants –, un projet pilote mis sur pied par Solidarité Femmes, l’APEP et le SAPV de La Louvière et en passe de démarrer dans les semaines à venir, un projet consistant en l’accompagnement des enfants du domicile de la mère à celui du père et vice-versa, par une personne externe, en vue de limiter les contacts entre les ex-conjoints dans une situation de violences post-séparation.
Du monde politique à la recherche en criminologie
Bertrand a un profil pour le moins atypique : à 43 ans, il est un jeune diplômé de l’Ecole de criminologie de l’UCLouvain (promotion 2023) avec un passé professionnel riche et tumultueux derrière lui. Il a en effet travaillé pendant quinze années dans le secteur des ressources humaines et de la communication avant d’intégrer le monde politique en tant que collaborateur parlementaire. Durant cette période, il a énormément travaillé sur le Plan Droits des femmes et notamment sur la question des violences faites aux femmes, dans et en dehors du cadre familial.
Durant ses études, Bertrand découvre qu’il apprécie beaucoup le travail de recherche, même si en début de cursus il se voyait plutôt comme un homme de terrain. Il commence à envisager doucement la perspective de mener des recherches-actions. Ces dernières, par rapport à une recherche de type académique mais aussi par rapport à son travail de collaborateur parlementaire qu’il poursuit parallèlement à ses études, ont l’intérêt de pouvoir avoir un impact plus direct et concret sur la réalité de terrain. Bertrand, sur fonds propres, commence à développer un projet de thèse portant sur l’application du concept de « désistance » (ndlr : Larousse définit la désistance comme un processus par lequel l’auteur d’une infraction sort de la délinquance ou de la criminalité) aux situations de violences conjugales et intrafamiliales. C’est un travail sur les auteurs qu’imagine Bertrand, non pas pour les justifier et les absoudre – comme pourrait le penser l’opinion publique –, mais dans un but de prévention des violences à venir et de protection des victimes, pour réduire les risques de récidive et déjouer les tentatives de manipulation.
En sollicitant un rendez-vous avec notre ancienne collègue Emmanuelle Mélan (UCLouvain) pour obtenir les informations nécessaires à la construction de son dossier de thèse, il apprend l’existence du projet DiAPE et l’engagement imminent d’un·e chercheur·e à mi-temps. Ayant brillamment réussi le séminaire de méthodologie jadis enseigné par Emmanuelle, cette dernière voit dans le profil de Bertrand des compétences non négligeables et lui conseille de postuler.
Les DiAPE: un projet-pilote qui répond à une urgence sociétale
Les Dispositifs d’Accompagnement Protégé des Enfants, dont la mise en place fait l’objet d’une décision de justice, répondent à l’immense difficulté de sortir du schéma des violences même après la séparation et de maintenir le choix de séparation dans la durée. On sait en effet que beaucoup de femmes victimes de violences conjugales reviennent sur leur décision de séparation quand l’emprise est trop forte et cette emprise est parfois renforcée par le fait d’avoir un ou plusieurs enfants en commun. On sait aussi que les enfants constituent un vecteur de maintien de la violence. Lors des échanges d’enfants, le contact physique étant possible, certaines femmes voient leur sécurité mise en péril. Ces échanges peuvent occasionner du stress et des tensions qui impactent inévitablement les enfants.
Le projet DiAPE permet d’éviter ces moments à risques et de recréer un lien différent et une parentalité nouvelle. Car à l’exception des situations qui voient un des parents être écarté des enfants pour des raisons de sécurité ou s’en éloigner volontairement, un lien sera maintenu à vie entre les ex-conjoints : non plus un lien conjugal mais un lien parental. Et il est crucial pour le bien de toutes les parties de trouver une manière saine et sereine de vivre ce lien.
Bertrand est enthousiaste à l’idée de participer à un projet nouveau, unique en Belgique et qui pourtant coule de source : comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? L’engagement à mi-temps lui permet de pouvoir continuer à travailler sur fonds propres à son projet de thèse initial – pas tellement éloigné en fin de compte de la recherche qu’il pourra mener pour Solidarité Femmes – et de pouvoir continuer à enseigner dans l’enseignement technique à des jeunes se destinant à la police, à la Défense et au gardiennage. Ce boulimique de travail arrive même à trouver le temps d’écrire, nourrissant un projet de livre sur cette question qui revient fréquemment chez les victimes : « pourquoi moi ? »
Participation et neutralité
La recherche liée au projet DiAPE comporte un volet participatif que Bertrand trouve particulièrement important : il va pouvoir donner directement son expertise sur le terrain. Il aura des entretiens réguliers tant avec le comité de pilotage – Solidarité Femmes, l’APEP et le SAPV de La Louvière –, qu’avec la structure exécutive – les trois accompagnatrices et la coordinatrice – et avec les multiples intervenant·es du projet : parents, enfants, avocat·es… Dans la mesure du possible, Bertrand espère pouvoir participer à certains accompagnements. Dans tous les cas, il recevra les rapports des accompagnatrices qui lui permettront de dégager des hypothèses de recherche.
Le chercheur précise la spécificité du DiAPE par rapport à son modèle français, la MAP (Mesure d’Accompagnement Protégé) : tandis que la MAP est proposée par des associations militantes, le DiAPE émane d’une décision prise par un juge. Cette différence importante implique une neutralité nécessaire et de s’extraire de la posture militante. Le DiAPE ne peut encourir le risque de susciter la réserve des avocat·es des auteurs de violence. Il s’agit bien d’un dispositif de soutien utile pour toutes les parties, bénéfique pour la mère, comme pour le père et évidemment pour les enfants. Cette neutralité nécessaire constitue une des difficultés de sa posture de chercheur.
Les premiers accompagnements débuteront très prochainement. Bertrand, comme le comité de pilotage, la coordinatrice et les accompagnantes cultivent l’espoir que tout se passe au mieux. Le DiAPE alors pourrait être pérennisé dans le Hainaut et étendu à l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie Bruxelles.
