Christel

Au sein de l’équipe de Solidarité Femmes, il est une travailleuse qui occupe une fonction unique autant qu’intrigante : elle est esthéticienne et elle travaille dans une salle de bain ! Christel, plus précisément, est esthéticienne sociale et, à sa manière toute particulière, contribue elle aussi à aider les femmes à se reconstruire après les violences et surtout à renouer avec elles-mêmes et à poser sur elles un regard bienveillant.

Christel travaille pour Solidarité Femmes depuis vingt ans. En 2003, elle exerçait au refuge, dans l’actuel bureau de Nathalie, la secrétaire-comptable. Le matériel qu’elle avait à sa disposition était alors rudimentaire : une table avec un matelas. Les conditions de travail n’étaient pas idéales : les bruits provenant des espaces communs n’étaient pas propices à la relaxation, les mamans entendaient leurs enfants et n’arrivaient pas à se détendre. Elle a quelques années plus tard déplacé son local et son activité à la Maison des femmes à la rue de Bouvy et successivement dans un bâtiment loué à Haine-Saint-Paul. Enfin, elle s’est établie à l’actuel siège social de Solidarité Femmes, où se trouve actuellement le service ambulatoire de l’association et où elle occupe le local qui était initialement destiné à faire office de salle de bain. Si la baignoire n’est pas (encore !) utilisée, l’accès à un point d’eau grâce à l’évier est bienvenu. L’endroit est quoi qu’il en soit beaucoup plus calme que celui qu’elle occupait au refuge. Aussi, Christel pense qu’il est préférable que les dames hébergées se déplacent pour venir, qu’elles fassent cette démarche de quitter le refuge et de rejoindre un endroit différent dans le but de consacrer un peu de temps à leur bien-être, de prendre un moment juste pour elles.

Les soins de Christel s’adressent aux femmes hébergées, aux ex-hébergées et, depuis peu, à certaines femmes fréquentant le service ambulatoire. Graziella, Julie ou Rita peuvent ainsi orienter la personne qu’elles rencontrent vers Christel en fonction de ce qu’elles perçoivent de ses besoins et de ce qui pourrait lui faire du bien. Les séances sont gratuites pour les femmes hébergées et accessibles à un prix symbolique pour les autres. Les quelques euros demandés couvrent les frais liés au renouvellement régulier des huiles et produits divers.

Les soins esthétiques et de relaxation que prodigue Christel ont pour objectif de redonner à la femme qui les reçoit l’envie de s’occuper d’elle et de se réconcilier avec son apparence.

Quand elles arrivent chez Christel pour la première fois, les survivantes se sentent presque toutes amoindries. Elles n’arrivent pas à se trouver belles. Certaines n’ont jamais reçu de soins esthétiques, soit parce qu’elles n’y ont jamais pensé, soit parce que leur ex-conjoint ne l’aurait pas accepté. L’accessibilité financière de ce type de soins a aussi pu être un frein pour certaines.

Nombreuses sont les femmes qui ont des complexes, liés à leur pilosité ou au sébum produit par leur peau par exemple. La mission de Christel est de leur redonner confiance en elles.

Christel ne pratique pas uniquement des soins esthétiques : elle propose aux dames un service de pédicure médicale ainsi que des massages thérapeutiques et notamment de la pressothérapie. Ces massages sont souvent les bienvenus pour soulager le stress important des femmes qui ont subi des violences. Se former à la massothérapie a permis à Christel de voir autrement l’esthétique. Elle a appris à écouter les femmes qui viennent la voir. Et elle a découvert un je ne sais quoi de spirituel dans sa pratique professionnelle.

Durant ces moments de bien-être, bercées par une douce musique de relaxation qui les emmène en voyage vers d’autres univers, beaucoup de femmes se laissent aller aux confidences. Quand les soins deviennent réguliers, inévitablement, des liens se créent. Christel voit les femmes évoluer. Les femmes, quant à elles, au fil des séances, font tomber leurs réserves initiales et s’ouvrent de plus en plus. Pour certaines, c’est plus difficile que pour d’autres. Beaucoup n’ont pas eu l’habitude de se faire cocooner de la sorte. Christel me dit qu’à sa manière, elle donne des câlins aux femmes qui malheureusement n’en ont jamais reçus.

Elle-même s’est posée cette question quand elle a commencé à travailler pour Solidarité Femmes, il y a vingt ans : comment fait-on pour toucher des femmes battues ? Elle sait désormais très bien comment s’y prendre.

Christel se souvient de cette femme très belle, avec de très longs cheveux et de magnifiques yeux verts. Elle répétait qu’elle était laide et qu’elle comprenait pourquoi son conjoint la frappait. Christel l’a mise face au miroir, en vain : elle ne parvenait pas à voir sa beauté. Après quelques mois, elle lui a tendu le miroir à nouveau : timidement, elle commençait, enfin, à poser un autre regard et à se trouver jolie.

Elle se souvient aussi de cette dame, au refuge, qui s’est jetée dans ses bras en l’appelant par son prénom quand elle lui a ouvert la porte. Elle avait le visage tellement abimé par les coups que Christel, sur le moment, ne l’avait pas reconnue. Elle était retournée chez son ex…

« Dans le travail qu’on fait, me dit Christel, on est tout le temps choquées. » Maltraitances physiques et sexuelles, contrôle de l’argent, enfants pris en otage… On ne s’habitue pas au mal. « Quand je m’habituerai, je ne ferai plus ce métier ! », me déclare-t-elle. Au fil du temps cependant, elle a appris à se mettre dans une bulle pour se protéger.

Comme pour beaucoup de travailleuses, ses débuts ont été difficiles. Elle pensait constamment aux femmes rencontrées, à leurs histoires. Faire une pause a été nécessaire. Mais ce qui lui permet de tenir le coup, me dit-elle, c’est son activité complémentaire en privé. Elle permet à Christel d’y puiser son oxygène et d’y trouver une certaine forme de déconnexion … qui est relative : « chez moi je fais aussi du social ». La violence conjugale, malheureusement, est tellement diffuse qu’il est arrivé à plusieurs reprises à Christel d’informer ses clientes sur les violences conjugales et de les orienter vers Solidarité Femmes.

Même si elle déserte les manifestations car elle n’aime pas la foule, Christel n’hésite pas à se déclarer féministe. Son féminisme, me dit-elle, elle le pratique au quotidien, en travaillant sans cesse à remettre les femmes et leurs droits en valeur. Un de leurs droits est celui de prendre soin d’elles.

Et ce qu’elle vit au travail, ce qu’elle apprend au contact des femmes, ce en quoi elle croit profondément quand elle prodigue ses soins et ses massages, elle entend bien le transmettre à ses enfants. « A la maison, je parle beaucoup avec mes filles, je leur dis qu’elles ne doivent jamais se laisser humilier par un garçon. J’ai aussi des fils, je les ai élevés avec des valeurs. »

Le féminisme, c’est aussi ça : une histoire de transmission.