Eloïse, assistante sociale au refuge
Eloïse exerce, depuis le 25 avril 2022, l’indispensable fonction d’assistante sociale au sein de la maison d’accueil. Elle est une des premières personnes que les dames hébergées rencontrent en arrivant au refuge. Eloïse les accueille et, dans les deux premiers jours qui suivent leur arrivée, voit avec elles ce qu’il va falloir mettre en place d’un point de vue social : ouvrir un compte en banque par exemple ou introduire une demande d’aide sociale auprès du CPAS, demander l’ouverture d’un carnet auprès de la mutuelle pour les femmes qui étaient jusqu’ici à charge de leur mari… Ces entretiens à finalité pratique ne se déroulent évidemment pas de manière froide et impersonnelle : Eloïse offre aux femmes une écoute bienveillante sans pour autant se substituer à Emilie, qui apporte quant à elle – et ce dès les premiers instants elle aussi – un accompagnement d’ordre psychologique. Très vite, Eloïse va prendre contact personnellement avec tous les services déjà actifs – qu’il s’agisse d’un service de médiation de dettes ou d’une assistante sociale d’un autre service (planning familial, CPAS, établissement de formation…) qui suivait déjà la dame avant son départ du domicile conjugal. Une fois ces premières démarches administratives accomplies, les entretiens avec les femmes hébergées vont se faire à leur demande et en fonction de leurs besoins. A la fin du premier mois suivant l’arrivée d’une dame au refuge, Eloïse va élaborer un PAI – un plan d’accompagnement individualisé – qui rassemblera toutes les informations d’ordre social, juridique et médical relatives à la dame hébergée, ainsi que toutes les démarches encore à faire avec elle. Ce document est mis à la disposition des collègues – équipe éducative, thérapeutes, juristes – et fait l’objet d’une réévaluation tous les trois mois.
… pour les femmes hébergées mais aussi pour les « anciennes »
Avec Sandrine, juriste, Eloïse répond aux appels téléphoniques reçus en journée au refuge. Comme elle également, mais avec des missions bien distinctes, elle continue à travailler avec certaines ex-hébergées qui viennent la voir au refuge pour, par exemple, déchiffrer un courrier qu’elles ont du mal à comprendre ou effectuer, avec elles, une démarche administrative qui leur apparait nébuleuse.
Les femmes hébergées et ex-hébergées peuvent également bénéficier d’un accompagnement physique : Eloïse se rend avec elles au CPAS, à la commune… Parfois à leur domicile en même temps que la police pour qu’elles puissent récupérer leurs effets personnels en toute sécurité. Il arrive qu’Eloïse les accompagne au Tribunal quand Sandrine est dans l’incapacité de le faire ou pour la relayer. Le lendemain de notre entretien, Eloïse devait accompagner une dame pour inscrire son bébé dans une crèche. Elle ne s’occupe toutefois pas des inscriptions à l’école des plus grands, ceci étant du ressort de l’équipe éducative.
La ligne d’écoute, les weekends, des animations prévues prochainement
Eloïse, depuis quelques mois, fait partie des écoutantes de la ligne 0800 30 0 30 et, depuis fin 2022, participe aux permanences des weekends, en alternance avec d’autres collègues. Elle me confie avoir été stressée à l’idée de se retrouver en charge de la gestion du quotidien, avec une équipe en service réduit. Son baptême du feu en décembre s’est finalement très bien passé : dans une belle inversion des rôles, les dames l’ont chouchoutée ! Malgré leurs blessures encore à vif, la vie en collectivité après la violence et l’isolement qu’elles ont subis amène naturellement les femmes hébergées à développer une bienveillance et une sororité entre elles dont bénéficient aussi les travailleuses… Eloïse, durant son premier weekend au refuge, a eu l’occasion de découvrir la maison autrement et de pouvoir vivre son rapport aux dames hébergées de manière moins formelle qu’en semaine.
Après un temps de préparation et de formation, il est prévu qu’Eloïse reprenne prochainement les animations de groupe portant sur les questions sociales et la gestion du budget, jadis confiées à Tina. Ces animations sont précieuses car même si Eloïse est là pour aider et accompagner les femmes, l’objectif premier à atteindre est que celles-ci redeviennent au plus vite indépendantes et autonomes, ou qu’elles apprennent à le devenir. Ce n’est pas simple, quand on a perdu confiance en soi, quand on a vécu avec un conjoint contrôlant qui avait la mainmise sur le budget familial et écartait sa compagne de toute décision portant sur le foyer.
Une année aux côtés des survivantes
Au moment où nous nous rencontrons en vue de la rédaction de son profil, Eloïse s’apprête à fêter son premier anniversaire au sein de Solidarité Femmes. Bientôt douze mois se sont écoulés… Que retient-elle de cette année ? Elle me dit avoir été touchée par le lien qui persiste entre les anciennes hébergées et l’association. Parfois huit, dix ans se sont écoulés depuis leur séjour au refuge et ces dames sont toujours en contact avec les membres du personnel. Elles passent dire bonjour, les mamans répondent présentes à l’invitation qui leur est lancée de participer à la fête de Saint Nicolas des enfants organisée chaque année. C’est rare, souligne Eloïse. Ce lien est presque familial. Dans son travail, Eloïse apprécie le fait de pouvoir assister à l’évolution des femmes, être témoin de leur reconstruction et de leur envol. Au sein de l’équipe, elle n’est pas la seule à faire ce constat : voir une femme qui a perdu confiance et ne croit plus en la vie se métamorphoser comme un papillon, ça n’a pas de prix, pour les travailleuses et travailleurs qui accompagnent les survivantes. Certaines femmes, complètement dépendantes de leur ex-conjoint, accèdent avec fierté à la propriété – chose inimaginable pour elles dans leur vie passée.
Malheureusement, il y a aussi des ombres au tableau, et quelque chose qui a marqué négativement Eloïse au cours de cette année, c’est de voir que certains hommes violents ne lâchent pas le morceau. Plusieurs années après la séparation, ils tentent encore de blesser leur ex-compagne.
Etant elle-même maman d’une petite fille, Eloïse est régulièrement témoin d’injustices envers les mères et est très sensible à la question des enfants. Ceux-ci ne sont jamais de simples témoins, ils subissent le climat de violences. Les conséquences sur leur développement sont manifestes.
Un désir profond de travailler aux côtés des femmes victimes de violences conjugales
La réalité des violences conjugales a-t-elle été une découverte pour Eloïse ? Pas vraiment – du moins d’un point de vue théorique ! Elle m’explique son parcours. Eloïse, après son bac en France (notre Manon n’est pas la seule à provenir de l’Hexagone !), est venue à Mons pour entreprendre des études d’institutrice maternelle. Après son diplôme, elle a exercé ce travail pendant cinq ans, mais la précarité de l’emploi et les remplacements à répétition l’ont incitée à se tourner vers un autre horizon professionnel et elle s’est inscrite, en horaires décalés, à des études d’assistante sociale à la HELHA. Dès le début de cette nouvelle aventure formative, Eloïse sait qu’elle voudra réaliser son TFE sur l’accompagnement des victimes de violences conjugales. Ce sujet l’interpelle, lui tient à cœur. Elle fait son stage de troisième année au Vif, à Mons, une maison d’accueil d’urgence pour des séjours limités dans le temps. Au Vif, elle va rencontrer trois femmes qui ont subi des violences et recueillir leur témoignage car elle a choisi, pour son travail de fin d’études, de travailler sur « les mécanismes de protection mis en place par les victimes de violences conjugales par le biais du recueil de récits de vie ». On peut imaginer à quel point ces trois rencontres ont pu marquer Eloïse. Elle le sent, c’est dans une structure comme celle du Vif qu’elle veut travailler. Elle est « faite pour ça ».
Mais les places sont chères en maisons d’accueil et elle est d’abord engagée dans un hôpital et puis au sein d’un CPAS – deux expériences intéressantes mais qui la laissent un peu sur sa faim. Et puis un jour, une amie lui envoie l’offre d’emploi pour un poste vacant d’assistante sociale chez Solidarité Femmes. Pas question de tergiverser : la date maximale pour envoyer sa candidature est le lendemain. Eloïse n’a de toute façon aucune hésitation. Quand sa candidature est retenue, elle en pleure de joie.
L’engagement féministe d’Eloïse : un sentiment d’injustice mêlé à l’espoir de voir la société évoluer
Quand je la questionne sur son engagement féministe, Eloïse me dit éprouver un sentiment d’injustice. « Ça fait des années qu’on lutte, mais est-ce que ça bouge assez rapidement ? » Non, bien sûr. Les inégalités salariales par exemple : en 2023, elles sont encore là ! En ce qui concerne les violences conjugales, Eloïse se sent en colère par rapport à la manière dont les institutions traitent la question des violences conjugales. La Justice ferme trop souvent les yeux, et c’est inacceptable. Incompréhensible. Mais son constat n’est pas totalement négatif : de plus en plus d’hommes revendiquent des idées féministes, les pères d’aujourd’hui sont plus engagés dans leur paternité… Ces évolutions sont importantes car, pour Eloïse, le combat féministe est un combat qu’on doit mener ensemble, femmes et hommes.
Sur cette petite touche d’optimisme, je laisse Eloïse retourner à ses occupations et à ses rendez-vous. Dans son petit bureau, elle aide quotidiennement les survivantes à se remettre debout. C’est dans ces quelques mètres carrés que le projet d’une nouvelle vie commence doucement à s’esquisser. Une vie sous le signe de la liberté et de l’autonomie, sans violence.
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