Au cours de ces derniers mois, Solidarité Femmes a eu le plaisir d’accueillir deux stagiaires étrangères : Lisa, de l’Ile de la Réunion, et Martina, qui nous vient d’Italie. Après Martina, Lisa s’est confiée à son tour sur son expérience chez Solidarité Femmes, à quelques jours seulement de son retour sur son île natale, dans l’Océan Indien.
Quête de sens et reconversion professionnelle
Lisa est une jeune maman de 32 ans actuellement en reconversion professionnelle. Elle a exercé précédemment la fonction de responsable périscolaire dans des écoles et a eu également l’opportunité de travailler dans un centre social. C’est précisément en saisissant cette opportunité que son envie est née de se réorienter vers la fonction d’assistante sociale – un métier qu’elle considérait cohérent avec ses valeurs. En recherche de sens, Lisa s’est donc inscrite, au seuil de ses 30 ans, à l’IRTS, à la formation d’assistant·es de service social d’une durée de trois ans. Elle termine actuellement sa deuxième année.
A l’IRTS, un stage de mobilité de trois mois est obligatoire au cours du cursus. Pour cette jeune maman, cette perspective n’a pas été vécue sans inquiétude… Mais, à quelques jours de son retour au pays, son bilan est positif (merci quand même à la famille et aux appels vidéo qui lui ont permis de vivre l’éloignement de manière plus sereine !).
Le choix de la Belgique, le souhait de travailler avec des victimes de violences conjugales
Le choix de Lisa s’est porté sur la Belgique car notre petit pays est réputé à l’IRTS pour le caractère innovant de son travail social. Au contraire de Martina qui a contacté elle-même les structures en mesure de l’accueillir comme stagiaire, Lisa a dû s’en remettre à son institution pour le choix du lieu d’accueil. Elle a pu néanmoins formuler un souhait : celui de travailler, si possible, avec des femmes victimes de violences conjugales.
La raison est liée à son contexte de vie. A ce jour, la Réunion est le troisième département français le plus touché par les violences conjugales. Le taux de féminicides, sur l’île, est un des plus élevés de France.
Lisa aura donc, pendant environ trois mois, et avec Veronica comme référente, partagé le quotidien de notre équipe et des femmes et des enfants hébergés au sein de notre maison d’accueil. Elle a participé à différents ateliers, dont un atelier de self-défense avec Veronica et un atelier sur la communication non-violente avec Wendy. Elle a beaucoup travaillé avec les enfants et a passé énormément de temps avec les femmes – un temps précieux fait de discussions et d’échanges, des moments très riches qui lui ont permis d’approfondir sa formation.
Lisa a aussi eu l’opportunité, durant son stage, d’assister à une représentation de Maux bleus, spectacle créé sous la supervision du Théâtre des Rues par la troupe amateure des Chanceuses, constituée majoritairement de survivantes. Cette expérience a renforcé son engagement féministe mais aussi sa conviction que les bénéficiaires sont capables de réaliser de très belles choses et voilà pourquoi les placer au centre de toute intervention sociale devrait, selon elle, être primordial.
L’empowerment à la belge
Lisa, en Belgique, a pu découvrir, par rapport à ce qu’elle connait dans son département français d’outre-mer, une approche très différente de l’aide aux victimes. Tandis que l’approche réunionnaise est essentiellement pragmatique et consiste principalement en un accompagnement de la personne dans l’accès à ses droits (dépôt de plainte, ouverture d’un compte en banque, demande de logement, etc.), l’approche que Lisa a découverte chez Solidarité Femmes et, de manière plus générale, en Belgique s’inscrit dans une perspective plus large de reconstruction et d’empowerment.
Il existe à la Réunion des CHAU – des centres d’hébergement et d’accueil d’urgence – qui proposent également un accompagnement psychologique pour aider les femmes à retrouver leur autonomie mais les professionnel·les y travaillant ne gardent pas les enfants des dames, au contraire de ce qui se fait chez nous.
Lisa avoue avoir été surprise de ces différences quand elle a commencé son stage. Ce nouvel horizon de travail a alimenté sa réflexion : en effet, si on ne fait rien sur le plan de l’empowerment, quelle est la plus-value de l’aide apportée aux survivantes ?
« A la Réunion, on n’appellerait pas son responsable par son prénom ! »
Mais il est aussi un autre aspect qui a vivement interpellé Lisa et l’a bousculée dans ses certitudes, un aspect propre plus à la culture et à la mentalité belges qu’à notre type d’approche sociale des violences conjugales : le ou la travailleur·euse social·e en Belgique, dans sa pratique quotidienne, est plus dans une dimension informelle que son équivalent en France, est moins dans ce qu’on appelle « le cadre ».
« A la Réunion, on n’appellerait pas son responsable par son prénom ! », s’exclame Lisa qui se souvient encore de sa première rencontre avec la directrice, Josiane Coruzzi, qui lui a dit de l’appeler Jojo.
Une juste proximité nécessaire
Ce caractère informel, Lisa l’a remarqué non seulement au niveau hiérarchique, entre le personnel et la direction, mais aussi dans le rapport des travailleuses et travailleurs aux femmes hébergées. Alors qu’on lui a enseigné à l’IRTS l’importance d’instaurer une juste distance avec les bénéficiaires, Lisa découvre chez nous la nécessité d’une « juste proximité ». Il n’est pas question d’instaurer une relation amicale, il reste primordial de fixer des limites, mais tutoyer les personnes, par exemple, aide à rappeler qu’on est avant tout dans une rencontre entre êtres humains, même si cette rencontre s’inscrit dans un contexte professionnel. Oui, on peut rester pro et se faire appeler par son prénom ! Cela n’empêche en rien un bon accompagnement de la personne…
Cette « juste proximité nécessaire », elle s’est vérifiée lors de la semaine de vacances au domaine de Chevetogne : Lisa a eu l’opportunité de passer des soirées avec les femmes, elle les a vues et s’est montrée à elles en pyjama ! Lorsqu’elle s’éclipsait pour appeler son conjoint et son fils, les femmes le savaient et lui demandaient comment allait son petit garçon. La barrière entre vie professionnelle et vie privée, essentielle, on le sait, avait perdu de sa hauteur et n’était plus fermée à double tour… Et pour quelques jours, ça a fait du bien.
Faire passer les besoins des femmes avant le protocole
De même, lorsqu’elle accompagnait des dames à des rendez-vous médicaux, au contraire de ce qu’elle a connu sur le territoire français pour des raisons de confidentialité, Lisa a pu accéder à leur dossier médical et à des informations concernant leur santé, dans le simple but de traduire les mots du médecin aux dames comprenant difficilement le français. En Belgique, les besoins de la femme restent prioritaires sur le protocole.
Bref, Lisa est bien décidée, dans sa vie professionnelle future, à importer le modèle belge sur son île et à remettre en question, quand cela est possible, l’austérité protocolaire en vigueur !
Une expertise qui s’acquiert au contact des femmes
Un dernier grand apprentissage qu’elle tient à me mentionner réside dans une leçon d’humilité, valable celle-ci quel que soit finalement le pays où on se trouve : l’expertise de l’assistante sociale, c’est l’expérience de terrain qui la lui confère, beaucoup plus que les formations théoriques suivies à l’école. L’expertise, Lisa s’en est rendu compte, c’est à nous, en tant que professionnel·les, de la nourrir quotidiennement, notamment auprès des femmes.
On sent Lisa heureuse de retrouver sa famille, au terme de ces trois mois de stage, mais on la sent également heureuse d’avoir vécu cette expérience, d’avoir partagé le quotidien des femmes hébergées, de leurs enfants et des travailleuses et travailleur de la maison d’accueil et d’hébergement de Solidarité Femmes. Dans ses valises, elle emporte avec elle des souvenirs et des émotions qu’elle gardera sans doute longtemps dans son cœur, mais aussi une approche, des méthodes et des outils différents, pour aborder, dans une grosse année, sa nouvelle vie professionnelle en tant qu’assistante sociale.
Bon retour dans ta si belle région, Lisa, et merci pour ce que tu nous as apporté à ton tour.
Si vous nous lisez de la Réunion ou de tout autre département français, le numéro d’aide pour les victimes de violences conjugales est le 3919 (l’équivalent de notre 0800 30 0 30).
