Entretien avec Martina, notre stagiaire italienne

En ce moment, Solidarité Femmes accueille deux stagiaires étrangères : Lisa, de l’Ile de la Réunion, et Martina, qui nous vient d’Italie. Nous avons rencontré cette dernière (à droite sur la photo) et nous lui avons demandé de faire le point sur son expérience au sein du refuge, deux mois après son arrivée et à un mois de son départ.

Martina est originaire des Marches, une région du Centre de l’Italie. Après avoir étudié la sociologie pendant trois années à l’université de la Sapienza à Rome, elle est actuellement inscrite au master de criminologie de l’Université de Bologne. Son mémoire de fin d’études, qu’elle est actuellement en train de rédiger, porte sur les aspects médico-légaux de la violence conjugale entre Italie et Belgique (et nous sommes impatient·es de le lire !).

Pourquoi la Belgique ? Pourquoi Solidarité Femmes ?

Martina est en Belgique dans le cadre d’un échange Erasmus et d’un stage d’étude. Pourquoi la Belgique ? Parce que Martina est amoureuse de la langue française, qui attire pourtant de moins en moins de jeunes dans la Botte, en raison de la prédominance actuelle de l’anglais. Elle cherchait donc un pays francophone pour y effectuer son stage. Pourquoi Solidarité Femmes ? Parce qu’elle voulait à tout prix faire son stage dans une maison d’accueil pour femmes victimes de violences conjugales. Elle a donc contacté – elle-même, sans l’intermédiaire de l’Université – différentes structures en France et en Belgique francophone … et est arrivée chez nous à la fin du mois de février avec son sac-à-dos et son désir d’apprendre.

Son quotidien au refuge : des rendez-vous juridiques avec Sandrine à l’assistance aux enfants

Pendant une période de trois mois, Martina aura été l’ombre de Sandrine, elle-même criminologue et conseillère juridique pour les femmes hébergées et les ex-hébergées depuis plus de quinze ans.

Le quotidien de Martina, depuis le début du mois de mars, est donc ponctué de rendez-vous avec des dames – certaines fraichement arrivées au refuge, d’autres s’y trouvant depuis plus longtemps et d’autres encore ayant désormais pris leur envol – et d’accompagnements au tribunal. Elle a eu également la possibilité de découvrir le service juridique ambulatoire à destination des femmes ne bénéficiant pas d’un hébergement. Ce service juridique, entièrement gratuit et accessible à toutes les femmes qui vivent ou ont vécu des violences conjugales, est actuellement du ressort de Manon, formée depuis peu à la fonction par Sandrine.

Martina découvre aussi la polyvalence requise dans une structure comme la nôtre et se retrouve ainsi parfois à s’occuper des enfants – présences incontournables de la maison d’accueil et principaux pourvoyeurs de sourires et de bonne humeur.

La prise en charge des victimes en Belgique vs la prise en charge des victimes en Italie

Elle me dit avoir eu l’opportunité de suivre une formation avec Sandrine mais aussi Veronica, la responsable de l’équipe éducative. Cette formation a été précieuse pour Martina en ceci qu’elle lui a permis de préciser sa vision du traitement institutionnel des violences conjugales en Belgique et de découvrir d’autres maisons d’accueil, de mieux se rendre compte de la manière dont est agencé en Belgique le tissu associatif spécialisé dans l’aide aux femmes victimes de violences.

Quelles différences note-t-elle entre la Belgique et l’Italie, du point de vue de la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales ?

Les maisons d’hébergement : une répartition plus homogène en Belgique, des modalités de financement différentes

Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales sont peu nombreuses en Italie au regard de la taille importante du pays et la distribution des structures n’est pas équitable entre le nord et le sud de la Péninsule. L’Italie méridionale est moins dotée que l’Italie septentrionale, le fossé entre Nord et Sud – attesté depuis longtemps et sur différents plans – est malheureusement visible également du point de vue de l’aide disponible pour les victimes de violences conjugales. En Belgique, me dit Martina, malgré la division fédérale du pays et la diversité linguistique qui le caractérise, on note une cohésion et une unité majeures.

Martina a été surprise de constater que les femmes bénéficiant d’un hébergement dans les structures existant en Belgique doivent apporter une petite contribution financière. En Italie, l’entièreté des coûts entrainés par l’hébergement est prise en charge par l’Etat. (Ndlr : Il est toutefois important de préciser que les personnes privées de revenus propres en Belgique reçoivent une aide sociale via les Centres Publics d’Action Sociale. Le manque de ressources financières n’a jamais été un frein à l’hébergement d’une dame nécessitant d’être mise en sécurité.)

Le fait que les maisons d’accueil italiennes soient exclusivement subventionnées par l’Etat comporte paradoxalement des aspects négatifs : depuis 2014, le financement des régions et des communes par l’Etat a subi des ralentissements importants qui sont dommageables quand on travaille dans l’urgence comme c’est généralement le cas dans les maisons d’accueil. L’argent est là… mais n’arrive pas.

En Belgique, une majeure prise en compte de la parentalité et des enfants et un suivi sur du très long terme

Du point de vue du travail social en lui-même, Martina note en Belgique un accompagnement plus poussé des mères et de leurs enfants. Le travail sur le lien maternel et la parentalité, ainsi que le suivi individuel des enfants constituent effectivement en Belgique un pan important du travail auprès des survivantes.

Le suivi post-hébergement est, enfin, un point sur lequel la Belgique a décidément une longueur d’avance. Les femmes qui ont subi des violences, chez nous, peuvent bénéficier d’un suivi – qu’il soit social, thérapeutique ou encore juridique – pendant de nombreuses années après la séparation et l’éventuel hébergement en maison d’accueil. Ce type de suivi est malheureusement quasi inexistant en Italie – du moins dans les maisons d’accueil financées par l’Etat.

Mais une Justice italienne qui est beaucoup plus du côté des mères

Un point en faveur de l’Italie par rapport à la Belgique, Martina l’a noté sur le plan juridique : en cas de divorce ou de séparation en Italie, la mère a beaucoup plus de droits que le père, il est assez évident qu’elle devient prioritaire sur son ex-conjoint pour ce qui est de l’hébergement des enfants. La figure du père en Belgique, d’un point de vue juridique, jouit d’un statut particulier que Martina associe à un fonctionnement de type patriarcal. En cas de dénonciation de violences conjugales, il est beaucoup plus simple en Italie de garantir à la mère qu’elle pourra continuer à vivre avec ses enfants. Cela ne se passe malheureusement pas toujours comme ça dans les tribunaux belges.

Christel : modèle à exporter !

Avant de conclure notre interview, je demande à Martina s’il y a, au sein même de notre association, quelque chose qui l’a interpellée plus particulièrement. Elle n’hésite pas une seconde : le fait qu’une esthéticienne fasse partie de l’équipe ! La présence de Christel chez Solidarité Femmes l’a dans un premier temps surprise, mais en y réfléchissant bien, elle a trouvé l’idée tout à fait pertinente. Le rapport au corps des femmes victimes de violences conjugales est très compliqué. Il est donc primordial de partir de là ou en tout cas de ne pas laisser cet aspect de côté.

Martina terminera son stage à la fin du mois de mai et devrait être diplômée à la fin de l’année 2023.

Nous lui souhaitons tout le meilleur pour la suite de son parcours et, pourquoi pas, de pouvoir trouver un emploi dans une maison d’accueil en Italie, comme elle l’espère, malgré la carence d’opportunités professionnelles dans ce secteur.

Nous souhaitons à son pays de voir, dans les années qui viennent, se développer et s’amplifier le réseau des maisons d’accueil pour femmes victimes de violences conjugales.

Et nous souhaitons au nôtre une justice qui se rende enfin compte qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon père.

Pour les personnes qui nous liraient d’Italie, la ligne d’aide pour les femmes victimes de violences est le 1522 (l’équivalent de notre 0800 30 0 30).

Lisa à gauche et Martina à droite