Christelle a 50 ans et est originaire de Charleroi. Elle est la mère de deux enfants : un fils de 26 ans et une fille de 19 ans. Elle est aussi maman d’accueil de deux jeunes garçons qui sont les petits-fils de son ex-conjoint. Elle a travaillé comme aide-soignante en psychiatrie à domicile et est actuellement en pause-carrière. Elle nourrit le souhait d’une reconversion professionnelle.
Christelle a subi un viol alors qu’elle n’avait que 5 ans. Elle a perdu son papa quand elle était encore une enfant. Suite au décès, on l’envoie vivre au Luxembourg chez sa marraine. Malgré des débuts de vie dramatiques, Christelle conserve néanmoins quelques bons souvenirs de son enfance chez sa marraine.
Quand elle rencontre E., son ex-conjoint, elle n’a que 18 ans. Ce n’est pas le coup de foudre mais elle voit en lui la liberté et un retour vers Charleroi. Charleroi lui apparaît alors en effet comme un endroit bien plus vivant que les campagnes luxembourgeoises. Elle est jeune, Christelle, et elle veut s’amuser, avoir la vie d’une adolescente de son âge.
Trente années de violences conjugales
Elle met au courant E. des violences sexuelles qu’elle a subies pendant l’enfance et dans un premier temps il semble respecter ses peurs et son besoin de prendre le temps. Mais avec les années il va se rendre coupable de nouvelles violences sexuelles sur Christelle. Déboussolée, elle ne s’en rend même pas compte sur le moment ; c’est en thérapie qu’elle découvre avoir subi des viols conjugaux : des actes sexuels non consentis, rapidement et brutalement consommés, systématiquement après une dispute.
Elle sera bien consciente en revanche d’avoir été violée quand il la pénètre avec violence et contre son gré, quinze jours après la naissance de sa fille.
Christelle, durant les trente ans de vie commune avec son conjoint, sera également victime de violences physiques : il lui casse les dents, le nez. Elle en perdra même une partie de l’audition.
A tout cela s’ajoutent évidemment des violences psychologiques et sociales : il la dénigre en permanence, lui interdit de porter des jupes et des robes, l’accuse sans cesse et sans motif valable d’infidélité alors qu’il la trompe lui-même à plusieurs reprises, il la pousse à couper les ponts avec sa famille et ses amies, il contrôle son téléphone et ses communications sur ordinateur, il la suit pendant qu’elle travaille… Christelle résiste à sa manière : elle enregistre le numéro de son amie sous un autre nom dans son répertoire téléphonique, elle refuse de se marier parce qu’il n’accepte pas qu’elle invite sa famille à leurs noces (ils se marieront au bout de 29 ans de vie commune et elle profitera d’un séjour à l’étranger de son compagnon pour inviter autant de personnes que lui-même avait invitées dans son propre entourage !). Aussi, Christelle va voir une psychologue. Mais aussi stupéfiant que cela puisse paraître, celle-ci ne suspecte pas de violences conjugales. Elle conseille à Christelle de prendre patience et de faire preuve de compréhension : Monsieur est bipolaire…
Quatre mois après leur mariage, en novembre 2019, alors qu’il était encore en train de dénigrer Christelle, leur fille lui demande de se taire car elle n’arrive pas à étudier. Il lève la main sur elle pour la toute première fois.
Christelle ne le supporte pas : elle appelle la police. Les agents sous-estiment la violence, conseillent simplement à Christelle de partir. Elle s’en va donc, emmenant avec elle sa fille et les deux petits garçons, et trouve refuge dans un hôtel. Mais après quelques jours, elle n’a plus d’argent sur elle et se voit dans l’obligation de retourner au domicile conjugal.
Les policiers ne proposent pas à Christelle de porter plainte. Naïvement, elle est convaincue à ce moment-là que le fait qu’ils se déplacent sur sa demande allait être enregistré comme une plainte contre son mari. Elle découvrira plus tard qu’un déplacement de la police n’équivaut qu’à un simple constat, qui n’a pas beaucoup d’incidence dans le cadre d’un procès.
Quinze jours passent et un nouveau fait de violence survient : un épisode qui va mettre un point final à trente ans de violences conjugales mais qui va également précipiter Christelle dans une histoire complètement insensée. Une histoire qui pose réellement question sur la manière dont les violences intrafamiliales sont traitées en première ligne par les autorités compétentes.
Un retournement de situation qui tient de l’absurde
Le 7 décembre 2019, E. a bu plus que de raison. La tension est à son comble entre les époux. Tandis qu’elle descend les escaliers, il monte vers elle, un objet à la main. Elle prend celui-ci pour un couteau et, apeurée, fait demi-tour pour regagner l’étage. Il la regarde. « J’ai cru qu’il allait me tuer », me dit-elle. Il redescend les marches et en bas de l’escalier, sous l’effet de l’alcool probablement, il s’effondre.
La police et l’ambulance arrivent et les choses s’accélèrent mais pas dans la direction à laquelle on pourrait s’attendre. Christelle est accusée de l’avoir poussé et est arrêtée. Alors qu’il est certainement en coma éthylique, l’équipe d’intervention suspecte une hémorragie interne due à la chute. Christelle est portée au cachot, déshabillée, traitée comme une criminelle. Elle n’a rien fait mais elle me l’avoue : à ce moment, elle a juste envie qu’il meure.
Un policier vient lui annoncer une « bonne » et une « mauvaise » nouvelle. La « bonne », c’est qu’il est toujours en vie. La mauvaise, c’est que le procureur du Roi ne pourra la recevoir que le lendemain.
Christelle est soumise à un interrogatoire de catégorie 4 pour les suspects privés de liberté. A plusieurs reprises, dans le récit qu’elle me fait, elle insiste sur sa nudité, qui rend la situation encore plus humiliante : elle reçoit une couverture dans un premier temps, puis une combinaison en papier, enfin sa mère (contactée sur la demande de Christelle alors qu’elles n’ont pratiquement plus de contacts entre elles) apporte au commissariat un survêtement, elle ne pense évidemment pas à lui amener des sous-vêtements.
Peu et mal habillée, elle sera conduite au Tribunal où elle se retrouve flanquée d’une avocate commise d’office. La professionnelle est peu amène. Directement, elle met la parole de Christelle en doute en lui disant froidement : « des manipulatrices, j’en ai déjà vu. »
Se retrouver face au juge en tant qu’accusée est quelque chose qu’elle n’oubliera jamais. Mais quand il lui annonce qu’il lui est désormais interdit d’approcher Monsieur, elle a comme un déclic. Cette interdiction, assénée comme une punition, sera salvatrice : elle marquera la rupture définitive avec son conjoint et la fin de l’emprise.
La vie « après »
Lorsqu’elle est remise en liberté, Christelle ne ressent aucune émotion – elle vit ce qu’on appelle de la dissociation, soit une sorte d’inhibition de ses émotions qui survient inconsciemment pour pouvoir supporter un traumatisme psychique.
Elle va aller travailler, mais son employeur à qui elle se confie l’invite à prendre un congé-maladie de quinze jours. Pendant que son futur ex-mari est à l’hôpital, elle en profite pour rentrer chez eux, charger dans sa voiture un maximum d’effets personnels, et elle part vivre chez sa mère.
Pour son divorce, elle consulte une autre avocate avec qui elle a vite un très bon contact. C’est elle qui encourage Christelle à aller porter plainte à la police pour violences conjugales. Au commissariat, en attendant d’être reçue, son attention est attirée par les dépliants informatifs sur la ligne Ecoute Violences Conjugales. Peu de temps après, elle appelle le 0800 30 030.
Elle sera reçue au service ambulatoire de Solidarité Femmes par Mireille et Graziella et entreprendra avec elles un suivi de type psycho-social et thérapeutique. En voyant que ses enfants commencent à aller mieux – à différents degrés, ils ont eux aussi été touchés par les violences de leur père –, elle se sent libre de prendre un peu plus de temps pour elle et s’inscrit aux différents ateliers organisés par Solidarité Femmes : l’art-thérapie avec Rita, la formation à l’estime de soi avec Christiane, la chorale militante avec Graziella…
Quand son ex-conjoint est sorti de l’hôpital, Christelle a malheureusement dû, comme beaucoup de femmes, essuyer un nouveau type de violences : des violences post-séparation. Les violences conjugales, en effet, ne s’arrêtent pas toujours quand le couple se sépare. Parfois même, la séparation est un catalyseur. E. a contacté le SPJ pour tenter par tous les moyens de retirer à Christelle la garde des enfants dont elle est maman d’accueil. Pas pour les récupérer : il préfère que ses petits-enfants soient placés dans une institution plutôt que de continuer à vivre avec Christelle, avec qui ils ont grandi. Ces tentatives sont heureusement restées infructueuses. Dans les semaines qui ont suivi la séparation, E. harcelait Christelle par sms. Elle a bloqué son numéro. Il a alors entrepris de la dénigrer sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à proférer des menaces de mort à son encontre. Tous ces éléments ont été ajoutés au dossier de violences conjugales.
E. a quitté la Belgique et a cessé de rembourser ses crédits, obligeant Christelle à les assumer seule, alors qu’elle ne voulait pas de ces prêts quand ils les ont contractés ensemble. Elle me demande d’ailleurs de relayer dans son témoignage cette information que lui a donné son banquier, malheureusement trop tard pour elle : quand une personne est contrainte de co-signer une demande de prêt bancaire par son conjoint, elle dispose de quelques jours pour informer la banque de son désaccord en demandant de maintenir le secret. Le banquier, durant le rendez-vous, pourra essayer de refuser le prêt sous un faux prétexte.
Quand la roue tourne enfin
Aujourd’hui, Christelle est retournée vivre dans sa maison. Avec l’aide de ses enfants, elle a changé la disposition des meubles, a modifié l’une et l’autre petites choses… de manière à se sentir chez elle, finalement, et non plus chez eux.
La dernière fois que j’ai vu Christelle, elle était radieuse et avait de bonnes nouvelles à m’annoncer : le jugement a été prononcé et elle est acquittée. Justice lui a enfin été rendue.
Et Justice a été rendue doublement car son ex-conjoint a quant à lui été condamné à six mois de prison ferme pour menaces et détention d’armes.
Cette dernière condamnation, symboliquement, est très importante pour Christelle : elle signifie que ce qu’elle a vécu n’est pas « juste » une triste et banale histoire de couple. Christelle a été la victime de son conjoint qui a été reconnu par la Justice comme coupable. C’est, pour elle, une forme de reconnaissance du préjudice qu’elle a subi pendant trois décennies.
Et maintenant ? Elle avance, avec ses enfants, ses ami·es. Et de beaux projets auxquels elle n’aurait jamais osé rêver, il y a quelques années.
Et elle portait une jolie jupe ce jour-là !




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