Mireille

Mireille – Mimi pour les intimes ! – travaille depuis presque 40 ans pour Solidarité Femmes. Elle a fait partie des premières travailleuses engagées par l’association. Militante de la première heure, elle défendait déjà ardemment les droits des femmes dont celui de pouvoir disposer de son corps grâce à un accès facilité (et légal) à la contraception et à l’avortement. Elle est une proche de Christiane Rigomont, la fondatrice de Solidarité Femmes. C’est donc tout naturellement qu’elle suit celle-ci à la fin des années 1970 lors de l’ouverture du collectif et dans les prémices de ce qui deviendra le refuge pour femmes victimes de violences conjugales.

Avant de travailler pour Solidarité Femmes, Mireille était employée au Forem. En 1983, elle est engagée par Christiane comme permanente sociale chez Solidarité Femmes. On lui confie le suivi administratif et social des femmes hébergées.

Pendant presque trente ans, Mireille travaille dans la maison d’hébergement. En 2012, elle « déménage » au service ambulatoire où elle assure notamment le premier accueil des femmes qui prennent contact avec l’association.

Mireille effectue également un travail de prévention et de sensibilisation au sein des CPAS, des écoles, etc. Avec la crise sanitaire toutefois, cet aspect de son travail a été un peu mis de côté.

Le premier accueil au sein du service ambulatoire

Le premier accueil au sein du service ambulatoire consiste généralement en un long entretien pouvant durer parfois jusque trois heures. Ce premier contact est crucial pour dresser un profil précis de la femme qu’elle reçoit dans son bureau et identifier l’ensemble des besoins qui sont les siens. Beaucoup de femmes qui composent le numéro du service ambulatoire pour prendre ce premier rendez-vous sont encore en couple. Elles viennent avec des questions concrètes concernant leurs droits et un futur départ. Mireille leur répond et leur fournit une guidance.

Ce premier entretien va parfois déboucher sur un suivi avec Mireille.

Le suivi avec Mireille

Mireille, dans les entretiens successifs au premier, propose aux femmes de se soumettre à une série d’exercices visant à leur faire prendre conscience des violences subies et à leur expliquer le fonctionnement cyclique de la violence conjugale et le processus de domination conjugale.

Avec les femmes qu’elle reçoit en consultation, de manière individuelle ou en petits groupes (à condition que les femmes se connaissent déjà – parce qu’elles sont hébergées au sein de la maison d’accueil ou parce qu’elles participent à un atelier commun), Mireille travaille avec un fabuleux outil développé au Québec : une grande roue représentant le cycle de la violence.

Cette roue comporte quarante-quatre affirmations réparties en trois catégories représentant trois phases successives de la relation violente : la tension, l’éclat et le répit. La femme reçue en entretien lit l’une après l’autre les quarante-quatre affirmations et les commente au regard de sa propre situation. Parmi ces quarante-quatre affirmations, on peut lire par exemple « Je ne vais plus inviter ma famille chez nous quand il est là » dans la phase de tension, « J’ai dû faire quelque chose qui l’a provoqué » dans la phase d’éclat, « Les enfants ont besoin d’un père » dans la phase de répit. La lecture de ces phrases peut être éprouvante pour les femmes qui s’y reconnaissent, elle suscite souvent des pleurs. Beaucoup de femmes ne s’imaginent pas du tout être soumises au contrôle de leur conjoint parce qu’elles travaillent, ont leur propre véhicule, leur propre compte en banque…

Ce travail intime à partir du cycle de la violence se déroule sur plusieurs semaines.

D’autres exercices vont permettre à la femme de mieux comprendre la place qu’elle accorde aux autres et à elle-même dans son cœur ou encore de favoriser l’émergence de son identité. Cette identité, elle a souvent été bafouée par l’homme violent. Les femmes victimes de violences conjugales s’oublient, ne prennent plus soin d’elles, font passer leur propre personne au second plan. Leur estime de soi est au sol. Parfois, elles ne s’en rendent même pas compte.

Mireille va visionner avec la personne le documentaire Coups de foudre de Christophe Reyners qui livre les témoignages d’autres femmes victimes, elle va aussi travailler avec des outils tels que des films de fiction (Ne dis rien de Icíar Bollaín est par exemple un film que Mireille conseille pour mieux comprendre ce que vivent les victimes de violences conjugales).

Travailler sur les émotions et faire rire les femmes

Parfois, la femme qui vient la voir est en colère. Un travail sur cette émotion va alors être entrepris. Mireille me dit aussi que la première chose qu’elle essaie de faire avec les femmes qu’elle rencontre, c’est de les faire rire ou, au moins, de leur arracher un sourire. Il est important qu’elles réalisent qu’elles savent encore sourire. C’est le début du cheminement vers un autre possible.

Si Mimi se rend compte de la présence de traumas chez la personne en face d’elle, elle passe automatiquement la main vers ses collègues thérapeutes Marie ou Graziella, quitte à proposer à la dame un double suivi : avec elle pour continuer les exercices, avec une de ses collègues pour entamer un parcours thérapeutique centré sur le ou les traumas.

Son travail auprès des femmes victimes de violences conjugales, Mireille le conçoit un peu comme celui d’une infirmière : elle va s’employer à soigner les blessures, recoudre les plaies, apaiser les douleurs… Mais avec toute la bonne volonté du monde, elle ne pourra pas effacer la cicatrice. Alors avec ses collègues, ce qu’elle peut faire, c’est enseigner aux femmes à vivre avec cette cicatrice.

Sur tous les fronts

Mireille, en plus de ses entretiens au service ambulatoire, assure également une permanence à la ligne téléphonique d’Ecoute Violences Conjugales (0800 30 030) et, depuis peu, une permanence sociale hebdomadaire à l’hôpital de Soignies. Comme en premier accueil à l’ambulatoire, elle répond à Soignies aux nombreuses questions que se posent les femmes en situation de violences conjugales : quels sont leurs droits, qu’adviendra-t-il de la maison en cas de séparation, peuvent-elles partir avec les enfants, etc. Mireille reçoit également des demandes d’hébergement et elle vérifie s’il est possible pour Solidarité Femmes d’y répondre favorablement. Eventuellement, elle redirigera la personne vers d’autres structures d’accueil.

Pendant plus de dix ans, Mimi a également donné l’atelier « Débrouillardise » visant à enseigner aux femmes les bases de l’électricité, la plomberie, la menuiserie et la mécanique. Cet atelier, donné avec humour et légèreté, brisait les stéréotypes et contribuait à renforcer l’autonomie des femmes. A-t-on vraiment besoin d’un homme pour déboucher un évier ou remplacer une roue ?

40 années aux côtés des survivantes, 40 années de militance

Quand je lui demande de poser un regard rétrospectif sur ces presque quarante années au sein de Solidarité Femmes, je sens Mireille émue.

Elle me dit qu’il y a quarante ans, la violence conjugale était un sujet tabou. Maintenant, enfin, on ose en parler.

Elle me raconte aussi la nécessité de pouvoir fixer une limite entre sa vie professionnelle et sa vie privée pour garder la tête hors de l’eau et ne pas se laisser submerger.

Pour ne pas se laisser submerger, justement, elle a puisé sa force dans toute l’admiration qu’elle porte aux survivantes, à toutes ces femmes qu’elle a rencontrées, tant à la maison d’accueil que dans ses entretiens au service ambulatoire. Il faut tellement de courage pour partir. Les récits de ces femmes lui ont permis de ne jamais baisser les bras. Ils ont été une vraie leçon de vie pour Mireille.

Mimi me dit qu’elle se sent aussi profondément reconnaissante envers Christiane Rigomont, la fondatrice, qui l’a aidée à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Elle se souvient des colloques à l’étranger dans les années 1980 et 1990, les échanges avec d’autres professionnel.les…

Elle m’a amené quelques photos. Bien qu’elle accueille tous les jours dans son petit bureau la douleur des femmes, Mimi me montre des instantanés de bonheur. Je vois des femmes qui rient, qui s’enlacent, qui partagent un repas, qui manifestent. Je reconnais certaines collègues : Tina, Graziella… Parmi celles que je ne reconnais pas, des anciennes collègues, mais aussi des femmes hébergées. Il m’est bien difficile de distinguer sur ces photos les professionnelles des bénéficiaires. C’est qu’on ne fait pas que pleurer chez Solidarité Femmes ! On rit aussi, et heureusement : ça veut dire que l’autre possible est à portée de mains.

Mimi me montre avec fierté son bureau de militante. Les murs sont recouverts de pense-bêtes à l’attention des femmes qui viennent la voir en entretien. « Comment se protéger en restant chez soi ? » « Comment se protéger de son ex-conjoint lors des droits de visite ? » Une banderole, souvenir d’une marche des Femmes à New York, épinglée au mur, semble relier symboliquement le fauteuil destiné à la personne qui vient lui raconter son histoire au fauteuil depuis lequel Mireille recevra cette histoire.

Mimi affirme : « J’ai toujours été une révolutionnaire et je ne pense pas que ça va changer. » Mais aussi : « Quand il y a quoi que ce soit à l’extérieur, ma place, c’est d’y être. »

Défendre les droits des femmes, ça se fait dans un petit bureau comme celui de Mireille. Ça se fait aussi dans la rue. La sphère intime et la sphère publique sont deux terrains d’action complémentaires. Ne dit-on pas que l’intime est politique ?


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