Laetitia, Malhory et Fiona

J’ai rencontré les trois plus jeunes travailleuses de Solidarité Femmes. Au moment de notre entretien, elles avaient entre 22 et 24 ans. Elles sont nées plus ou moins au moment où le service ambulatoire de Solidarité Femmes a été créé. Elles étaient à peine nées voire pas encore quand a été votée la loi punissant le harcèlement en Belgique. Drôle de hasard (ou pas ?) pour ces jeunes femmes de la génération #MeToo et #balancetonporc.

Les trois plus jeunes travailleuses de Solidarité Femmes

Malhory est éducatrice et travaille principalement avec les enfants au sein de la maison d’accueil. Elle a été engagée en septembre 2020, mais travaille comme étudiante pour l’association depuis 2014. Elle est donc paradoxalement presque « une ancienne » tout en étant une des plus jeunes de l’équipe.

Laetitia est la cadette, avec ses 22 ans. Elle n’en avait que 20 quand elle a commencé à travailler pour Solidarité Femmes. Elle est ouvrière polyvalente et sa polyvalence l’amène à effectuer des tâches aussi diverses que des petits travaux de réparation avec Cédric, la mise en couleur des chambres, du nettoyage, mais aussi de la cuisine et même… du babysitting !

Fiona est, des trois, celle qui a été engagée le plus récemment : à l’heure où j’écris ces lignes, elle a fêté depuis peu sa première année au sein de Solidarité Femmes. Elle est ouvrière polyvalente elle aussi. Elle s’occupe principalement des colis alimentaires pour les ex-hébergées et de l’entretien du siège social.

Je leur demande si elles se sentent féministes et comment elles définiraient le féminisme

Toutes les trois se rejoignent sur la même définition : c’est le combat pour l’égalité des droits. C’est la base en fait. Comment ne pas être féministe ? Je leur demande si, en tant que jeunes femmes, elles se sont déjà senties discriminées. Laetitia a eu une première expérience professionnelle dans le bâtiment avant d’arriver chez Solidarité Femmes, elle nous avoue avoir été confrontée aux stéréotypes selon lesquels elle aurait été moins capable qu’un homme. C’est quand elle envoyait son cv à de potentiels employeurs qu’elle s’en est principalement rendu compte : elle a essuyé beaucoup de refus.

Etaient-elles sensibilisées à la violence conjugale avant de travailler pour Solidarité Femmes ?

Fiona a été témoin de violences conjugales dans son entourage proche. Elle voulait comprendre. D’ailleurs le jour de son entretien d’embauche chez Solidarité Femmes, elle en a eu un autre, dans un secteur différent, et a eu la possibilité de choisir. Son choix n’a pas été fait au hasard. Je lui demande si elle a trouvé des réponses à ses questions, elle me dit que oui, ça l’a aidée à comprendre.

Malho aussi, parmi ses proches, compte une personne qui a été victime de violences conjugales. Malho, c’est aussi la fille de Dodo… qui travaille au sein de l’association depuis pratiquement 40 ans, depuis ses débuts. L’engagement aux côtés des femmes victimes de violences, c’est une histoire de famille chez elles !

Laetitia, qui a d’abord laissé parler ses collègues, me confie qu’elle a elle-même été victime. Et elle veut se battre contre cette violence faite aux femmes.

Est-ce que ça a été dur pour elles, émotionnellement, de commencer à travailler pour Solidarité Femmes ?

Oui, ça l’a été, pour toutes. Et ça l’est encore parfois.

Malho se souvient d’un enfant en particulier, quand elle travaillait encore comme étudiante. Son histoire ne l’a jamais quittée. Avec les femmes, me dit-elle, il est encore possible de mettre une barrière, mais avec les enfants, c’est plus compliqué. Certains sont plus impactés que d’autres. Ces enfants ont besoin d’être entourés et accompagnés, me dit-elle.

Laetitia me confirme ce grand besoin d’affection : quand elle commence sa journée, les demandes de câlins affluent de la part des plus petits.

Mais pour Laetitia, ce qui est dur, c’est aussi d’arriver travailler le matin, de découvrir que quelques heures plus tôt une femme est arrivée … et de voir les marques sur son visage.

Fiona me dit qu’il était difficile, pour elle, de prendre la réelle mesure de ce que vivent les femmes victimes de violences conjugales. Avant, elle pensait que la violence conjugale se résumait à la violence physique, aux coups. Elle ne savait pas qu’elle peut assumer d’autres formes. La privation d’autonomie, par exemple, est quelque chose qui l’a frappée. Elle n’imaginait pas à quel point les victimes sont détruites. Comme beaucoup, elle avait des préjugés les concernant : « Elle n’a qu’à partir ! ». Elle a compris que les choses ne sont pas aussi simples. Elle sait aussi, maintenant, qu’aucune femme n’est à l’abri.

Parler des violences ! Discuter entre jeunes et entre femmes

De manière générale, Fiona, Laetitia et Malhory trouvent qu’on ne parle pas assez des violences conjugales, qu’on devrait le faire plus et le faire dans les écoles. Les jeunes – à tort – ne se sentent pas concernés ; beaucoup d’adolescentes confondent encore preuves d’amour et jalousie possessive, cette jalousie qui enferme et qui se transforme vite en violence psychologique, sociale, voire physique. Beaucoup de jeunes sont aussi témoins des violences conjugales perpétrées par leur père sur leur mère. Ils en sont témoins mais aussi victimes collatérales. Et ces jeunes ne savent pas à qui en parler. Ils ne savent pas qu’en parler, c’est un premier pas pour en venir à bout.

Dans le quotidien du refuge, les trois jeunes travailleuses discutent beaucoup avec les femmes hébergées. Ces dernières leur demandent parfois comment elles font pour être toujours souriantes. Certaines femmes hébergées sont très jeunes, parfois aussi jeunes que Fiona, Laetitia et Malhory, parfois même plus jeunes. Fiona me dit qu’elles lui posent parfois des questions sur sa vie de couple avec son compagnon (« Toi tu as le droit de sortir le soir ? »).

Je pense que ces échanges qui sortent du cadre strictement professionnel, qui sont tout simplement humains, ont une importance capitale pour les femmes qui arrivent au refuge après avoir subi de la violence. C’est important pour elles de voir que la vie de couple peut se passer différemment par rapport à ce qu’elles ont vécu.

Des prises de conscience importantes

Fiona a beaucoup analysé sa relation de couple depuis qu’elle travaille au sein de Solidarité Femmes : « Je ne lâche plus le morceau ! » Elle s’est aussi rendu compte que dans sa précédente relation, elle avait subi des violences.

Comme Laetitia. C’est en commençant à travailler pour Solidarité Femmes qu’elle a réalisé avoir subi de la violence. La révélation, c’est précisément en voyant le spectacle Maux bleus des Chanceuses, qu’elle l’a eue. Une prise de conscience a posteriori… Comme cela arrive à beaucoup de femmes.

Malhory pense quant à elle qu’elle saurait déceler les signaux d’alarme, comprendre au plus vite si quelque chose cloche. Malho a été plongée dans la réalité du refuge alors qu’elle n’avait que 16 ans. Elle a grandi et est devenue une femme avec la conscience de ce qu’elle est en droit d’accepter et de refuser au sein d’une relation amoureuse.

Ce qu’elles préfèrent dans leur travail 

Pour Laetitia, c’est la sensation de venir en aide aux femmes et aussi de les voir devenir ou redevenir autonomes. Elle aime la dimension sociale de son travail – une dimension qui n’allait pas de soi avec son profil d’ouvrière polyvalente et son expérience précédente dans le bâtiment.

Malho quant à elle met en avant le lien avec les enfants évidemment, mais aussi avec les femmes. Aussi, le caractère familial de l’association fait qu’elle se retrouve souvent à donner un coup de mains à des collègues occupant d’autres fonctions.

AIDER : c’est un mot que l’une et l’autre me répètent à plusieurs reprises avec des étoiles dans les yeux, comme une mission qu’elles portent et dont elles sont fières. AIDER : un mot tout court pour un concept immense.

Fiona, quant à elle, met en avant la notion d’apprentissage – mais un apprentissage humain : « mes collègues et les femmes m’apprennent beaucoup, j’apprends tous les jours, et je sens que ma vision des choses change petit-à-petit. »

Laetitia confirme le ressenti de Fiona : Solidarité Femmes a eu un impact sur sa vie, elle se sent plus mature.

Fiona renchérit : « Avec Solidarité Femmes, on se prend une claque. On ne réfléchit plus de la même façon. »

… Être féministe, comme elles l’ont dit toutes les trois en début d’entretien, c’est vouloir l’égalité.

Mais je rajouterais, et je pense que Fiona, Laetitia et Malhory seront d’accord avec moi : être féministe, c’est aussi se prendre des claques, et ne plus jamais réfléchir de la façon dont la société voudrait qu’on le fasse.

Ps : Que cette grande enseigne de la distribution alimentaire nous pardonne, mais quand je leur ai demandé ce qu’elles aimaient le moins dans leur travail, elles m’ont répondu à l’unanimité : « aller chez Aldi ! »