
D’abord engagée dans le cadre d’un projet de recherche, Manon est aujourd’hui notre juriste du service ambulatoire – une nouvelle figure qui est venue étoffer il y a environ un an le service juridique de Solidarité Femmes, assuré jusque-là uniquement par Sandrine au sein du refuge. Désormais, les femmes ne nécessitant pas d’un hébergement peuvent prendre rendez-vous au service ambulatoire de Solidarité Femmes pour poser gratuitement leurs questions d’ordre juridique et éventuellement pouvoir bénéficier de l’accompagnement de Manon.
La recherche chez Solidarité Femmes
Manon intègre l’équipe de Solidarité Femmes en mars 2021 pour travailler sur un projet de recherche international à l’initiative de l’Université d’Ottawa. Ce projet ambitieux porte sur le « syndrome d’aliénation parentale », un concept controversé et non reconnu scientifiquement mais largement récupéré par le discours masculiniste et utilisé pour accabler et discréditer les mères victimes de violences conjugales au moment de la procédure visant à établir les modalités d’hébergement des enfants. Impliquant dix-huit pays, il a pour objectif d’interroger la façon dont ce concept est utilisé dans les différents pays partenaires et de créer conjointement un contre-discours en mesure de démontrer son non-fondement et les risques qu’il comporte. En parallèle à cette recherche internationale, Manon est amenée à travailler également à une recherche de type qualitative visant à mieux comprendre – grâce notamment à une série d’entretiens avec des anciennes victimes accusées d’aliénation parentale – comment se passent concrètement les choses en Belgique francophone.
Manon, en signant son contrat, accepte alors la double casquette de chercheuse et d’écoutante de la ligne 0800 30 0 30.
Manon est française, elle vient de Bordeaux. Après une licence en droit et un master 1 en droit pénal dans le système universitaire français, elle s’est inscrite au master en criminologie de l’Université Catholique de Louvain. Son mémoire de fin d’études avait pour objectif de démontrer que la violence conjugale est l’expression au niveau individuel d’une société dont le fonctionnement repose sur la domination masculine. Via le groupe Facebook de l’Ecole de Criminologie, elle prend connaissance de l’offre d’emploi chez Solidarité Femmes. C’est sa relectrice, Emmanuelle Mélan, qui l’avait partagée – Emmanuelle qui avait elle-même travaillé comme chercheuse pour l’ASBL (cf. recherche post-séparation).
Quand Manon débute son contrat, elle a donc déjà une solide connaissance théorique des violences conjugales, mais les entretiens avec les survivantes et les appels à la ligne d’écoute la catapultent dans une réalité concrète à laquelle l’université ne prépare pas vraiment. Cette réalité de terrain lui plait beaucoup. La recherche touchant doucement à sa fin, Manon interpelle Josiane Coruzzi, la directrice de Solidarité Femmes, en lui confiant son désir de faire de l’accompagnement comme ses collègues de l’ambulatoire. C’est à ce moment que nait l’idée d’ouvrir une consultation juridique à destination des femmes non hébergées.
La nouvelle permanence juridique au service ambulatoire
Jusqu’à ce moment, les questions juridiques des usagères de l’ambulatoire étaient posées à la collègue en charge du premier accueil, Julie, qui pouvait compter sur l’expertise de Sandrine en cas de doute. Depuis le début de l’année 2023, une consultation juridique spécifique tenue par une criminologue est donc proposée gratuitement au sein du service.
Manon a suivi un rapide écolage avec Sandrine au tout début de l’année 2023 : elle l’a suivie lors de ses entretiens au refuge, dans certaines de ses démarches à l’extérieur et durant ses permanences à Charleroi chez Maison Plurielle. En mars, Manon était prête pour se lancer seule dans ses premières consultations.
En pratique, Manon répond aux questions juridiques des femmes subissant ou ayant subi des violences conjugales et post-séparation. Celles liées à la séparation et à l’hébergement des enfants sont les plus récurrentes. Parfois, Manon reçoit des dames en détresse qui implorent son aide car elles se sentent perdues. Elle leur propose alors un accompagnement, que ce soit pour un dépôt de plainte, pour leur trouver un·e avocat·e, pour remplir avec elles le dossier de demande d’aide juridique ou même pour se rendre aux audiences, afin qu’elles se sentent soutenues et n’aient pas à affronter seules ces moments redoutés. Bien souvent, le fait d’avoir rencontré Manon avant le tout premier rendez-vous chez l’avocat·e rassure les femmes et leur donne de l’assurance.
« Mon job, c’est de faire le lien », me dit Manon. Tout l’enjeu de son travail réside en effet dans cette posture d’intermédiaire entre l’Institution (police et justice) d’un côté, la femme de l’autre. Ce travail de connexion est particulièrement précieux quand la survivante qui interpelle Manon se sent confuse ou débordée face à ce qui peut lui apparaître comme une montagne à escalader seule et à mains nues.
La plus grande difficulté du travail de Manon est de devoir faire comprendre aux femmes que la procédure est généralement lente et complexe et que les décisions des juges ne sont pas toujours celles qu’on espère. Parallèlement à cela, une tâche non moins ardue est celle de devoir rappeler aux institutions la grande fragilité des femmes qui ont subi des violences de la part de leur conjoint.
Les entretiens de premier accueil et les permanences à la ligne d’écoute
Depuis septembre, Manon a également commencé à épauler Julie dans les premiers accueils : quand celle-ci est absente ou quand son agenda ne lui permet plus d’accepter de nouveaux rendez-vous, Manon prend maintenant le relais. Ces entretiens de premier accueil sont constitués d’une part des rencontres avec les femmes en demande d’un hébergement et d’autre part des échanges avec les femmes qui souhaitent une prise en charge en ambulatoire. Après avoir discuté avec elles de leur situation et répondu à leurs questions, Manon les oriente vers Graziella ou Rita pour un suivi thérapeutique ou pour la participation à des groupes de parole et leur refixe éventuellement rendez-vous pour une consultation juridique.
A côté des entretiens, à raison d’une à deux plages par semaine et d’un weekend par mois, Manon continue d’assurer une permanence à la ligne d’écoute (0800 30 0 30) et au tchat du site www.ecouteviolencesconjugales.be. La recherche l’occupe encore également, mais pour un volume de temps nettement plus réduit.
Un bilan positif, la sensation d’avoir trouvé sa place
Cela fera bientôt un an que Manon propose des entretiens et des accompagnements au sein du service ambulatoire. Le bilan qu’elle tire de cette année est extrêmement positif. Elle a l’impression d’avoir enfin trouvé sa place au sein de Solidarité Femmes, après avoir passé deux ans à la chercher. Elle apprécie la force du collectif au sein de l’ASBL et la solidarité qui règne entre les collègues du service ambulatoire. Manon échange beaucoup avec Christel, Graziella, Julie et Rita. Il arrive souvent qu’une même dame soit suivie par plusieurs collègues, ce qui leur permet de travailler en symbiose et de s’entraider, pour un meilleur suivi et un meilleur accompagnement des usagères, mais aussi pour soulager leur charge de travail et leur propre charge émotionnelle. Manon sait qu’elle peut compter sur ses collègues.
Elle sait aussi qu’on ne lui imposera jamais une quelconque forme de rentabilité : les travailleuses exercent leurs fonctions sans pression et peuvent soigner la qualité de leurs services, prendre le temps qu’il faut pour répondre aux besoins des dames, ne pas bâcler les entretiens. C’est précieux pour les travailleuses, mais ça l’est aussi pour les femmes qui prennent rendez-vous : elles savent qu’elles peuvent prendre le temps de s’épancher.
Enfin, Manon aime l’aspect diversifié de sa fonction : ses journées ne se ressemblent pas car les procédures sont variées et les besoins des dames disparates. Elle apprécie tant passer du temps dans son bureau qu’être en démarche à l’extérieur.
« Être féministe, c’est être conscient·e du privilège masculin sur lequel est bâtie notre société »
Manon est féministe, elle l’affirme avec aplomb. Elle me dit avoir évolué dans un schéma assez conventionnel et patriarcal, avec un papa qui avait un pouvoir décisionnel plus important que sa maman. La validation de la femme par l’homme est quelque chose qui la poursuit. A un certain moment, Manon a réalisé qu’elle en avait assez d’exister à travers le regard de l’autre et surtout à travers le regard masculin. C’est un sentiment de révolte qui l’a envahie et ne la quitte plus : qu’attendons-nous pour remettre réellement en question le système patriarcal dans lequel nous évoluons et qui implique de fait les violences de genre ?
Être féministe, selon Manon, c’est être conscient·e du privilège masculin sur lequel est bâtie notre société. Le simple fait de questionner l’existence et les implications de ce privilège pourrait être bénéfique pour tout le monde : femmes, hommes, enfants.
Son féminisme, Manon sent qu’elle l’a en elle depuis longtemps, mais c’est en quittant son pays pour s’inscrire à la faculté de criminologie en Belgique que sa conscience politique s’est manifestée.
Petite, elle a vécu la séparation compliquée de ses parents, elle a été témoin de violences situationnelles. Plus tard, elle a éprouvé le besoin de comprendre. Des violences situationnelles au sein du couple aux violences conjugales, la distance peut être très mince, voire floue, et c’est ainsi que Manon a choisi d’approfondir ce sujet dans le cadre de son mémoire de fin d’études. Du couple aux enfants, aussi, il n’y a qu’un pas, et Manon me confie s’intéresser beaucoup aux processus de domination dont sont victimes les enfants. Là encore, on se situe dans le continuum des violences patriarcales.
Sensibilisation, conscientisation… et sororité
Manon estime important de sensibiliser son entourage, de dialoguer, faire réfléchir. Elle le fait avec ses amies, mais aussi avec ses parents… Et elle s’entend souvent dire : « vous les jeunes, vous bousculez tous les codes ! » Et alors ?
Pour continuer à défendre ses idéaux et à mener à bien son travail de conscientisation, pour évoluer dans son cheminement personnel de femme aussi, Manon sait qu’elle peut s’appuyer sur une valeur précieuse qu’elle cultive avec soin : la sororité. Ses amies sont pour elle une ressource dont elle pourrait difficilement se passer. La sororité aide à déculpabiliser et à aller de l’avant, à évoluer. Et cette sororité, elle la retrouve au service ambulatoire, avec ses chères collègues.
Cette sororité, on la souhaite à toutes les femmes qui frappent à notre porte. Elle est une des clés en mesure d’ouvrir bien des verrous.
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- Notre service ambulatoire est actif sur rendez-vous à La Louvière du lundi au vendredi de 9h à 17h et est joignable au 064 21 43 33.
- Vous pensez être victime de violences conjugales ? Contactez-nous au 064 21 33 03 (7 jours/7, 24 heures/24) ou formez le 0800 30 0 30.