Nathalie

Quand on pense au personnel qui compose Solidarité Femmes, on pense évidemment à l’équipe éducative et psychosociale, aux juristes, aux personnes en charge des animations… Nous l’avons vu au cours de nos différentes rencontres, l’association est portée également par des professionnel·les dont les fonctions peuvent surprendre de prime abord : comme c’est le cas de Christel, notre esthéticienne sociale, par exemple. La fonction de Nathalie est somme toute assez diffuse en ce sens qu’on la retrouve dans pratiquement tous les secteurs – public, privé et non-marchand comme le nôtre. Mais ce travail de l’ombre n’est que trop rarement mis en lumière malgré son caractère indispensable. Nathalie est notre secrétaire-comptable depuis 2011.

Un travail administratif diversifié

Facturation des hébergements (ndlr : rappelons que l’argent n’est jamais un obstacle et que même les femmes privées de revenus peuvent être hébergées si leur situation le nécessite), encodage comptable journalier, encodage des horaires du personnel, rédaction des contrats de travail en l’absence de la directrice… Nathalie jongle avec mille et une tâches incontournables pour le bon fonctionnement d’une ASBL comme Solidarité Femmes qui se décline en plusieurs services répartis sur différents bâtiments et engageant actuellement environ vingt-cinq personnes. Mais les missions qui occupent le plus Nathalie, au point même de devoir augmenter son temps de travail durant certaines périodes de l’année, sont celles qui concernent les différents dossiers de subvention de l’ASBL et sa comptabilité.

Défi numéro 1 : les dossiers de subvention et les rapports d’activité

Les dossiers de subvention comprennent d’une part les nouvelles demandes de financement pour les nouveaux projets et d’autre part et surtout les rapports d’activité annuels pour les différents services subventionnés et pour les aides à l’emploi du Forem. Solidarité Femmes est un service d’hébergement mais aussi un service ambulatoire et une association d’éducation permanente. Ces trois facettes, bien que souvent imbriquées, recouvrent des réalités administratives bien distinctes et sont financées par des pouvoirs subsidiants différents (la Région Wallonne pour les deux premiers et la Fédération Wallonie Bruxelles pour la troisième). Le travail effectué dans le cadre des Pôles de ressources en violences conjugales et intrafamiliales (la ligne d’écoute 0800 30 0 30, le tchat Ecoute Violences Conjugales, la gestion de l’application App-Elles et les formations aux professionnel·les) fait quant à lui l’objet d’un rapport différent qui est élaboré en collaboration avec le CVFE et Praxis, les deux associations partenaires. Il y a également les sous-dossiers liés aux formations du personnel, aux primes de fin d’année, etc.

Sans ce travail invisible, l’ASBL aurait fermé ses portes depuis longtemps. Le seul fait de proposer un hébergement pour les femmes victimes de violences nécessite un agrément octroyé par la Région Wallonne et un suivi administratif pour le conserver. Les aides à l’emploi du Forem sont quant à elles fondamentales : sans celles-ci, les subventions de fonctionnement ne suffiraient pas à maintenir tous les emplois du personnel actuellement engagé.

Ce travail d’élaboration et de suivi des différents dossiers administratifs, Nathalie l’effectue avec la directrice, Josiane Coruzzi. Un fonctionnement en duo qui s’avère nécessaire mais qui est également rassurant car le travail administratif relatif aux dossiers de subvention devient, avec le temps, de plus en plus compliqué. La tendance actuelle est d’informatiser tous les dossiers mais les plateformes ne sont pas toujours intuitives et elles sont fréquemment sujettes à des changements et modifications auxquels on n’a pas le temps de s’habituer. Il faut désormais aussi détailler beaucoup plus les dépenses et évidemment les vérifier une à une. Dans un sens, l’informatisation globale permet de recouper des dossiers et d’éviter les doubles subventionnements, plus difficiles à démasquer quand Nathalie travaillait sur des formulaires imprimables et des tableaux Excel.

Défi numéro 2 : la comptabilité annuelle de Solidarité Femmes !

L’autre grand défi que Nathalie est tenue de relever chaque année est la préparation de la comptabilité annuelle en vue de sa publication sur le Moniteur belge. Le bilan comptable est par ailleurs un élément généralement exigé par les différents pouvoirs subsidiants dans le cadre des rapports d’activités. La comptabilité annuelle, en raison du travail administratif important lié aux dossiers de subvention en début d’année, Nathalie ne peut la commencer qu’en juillet, soit avec sept mois de retard. Elle doit impérativement la terminer en décembre. Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui occupe Nathalie dans son bureau au premier étage du refuge quand les premières feuilles des arbres commencent à tomber en septembre et quand les prémisses de l’hiver commencent à se faire sentir. Pas question pour elle d’agir de manière superficielle ou de faire les choses à la va-vite : l’ASBL n’est jamais à l’abri d’une inspection ou d’un contrôle fiscal. Ces moments constituent de grandes sources de stress pour elle, même si les personnes en charge des inspections se rendent bien compte de la complexité du travail administratif et font généralement preuve de bienveillance. Au fond, c’est l’honnêteté de l’ASBL qui est vérifiée. Elle a récemment reçu la visite d’un inspecteur et tout s’est heureusement bien passé. En juin, un expert-comptable rend une petite visite à Nathalie, regarde la balance des comptes, les amortissements et les provisions de vacances. Il répond aux éventuelles questions de la secrétaire-comptable et, une fois son travail validé, le bilan annuel est prêt à être soumis à l’Assemblée Générale pour approbation et à être ensuite publié au Moniteur.

Vous êtes toujours là ?

Les chiffres ont souvent mauvaise réputation : au mieux ils donnent mal à la tête, au pire ils font peur. Nathalie, elle, les a toujours aimés. Petite, elle se rêvait professeure de mathématiques ! Elle a pris une orientation différente à l’adolescence, mais jamais bien loin des calculs et des raisonnements abstraits : elle a réalisé des humanités techniques en gestion informatique et par la suite un graduat en comptabilité en cours du soir.

Pendant son graduat, elle a trouvé un emploi d’aide-comptable mais comme beaucoup de femmes, elle a perdu son emploi après sa grossesse. Une histoire comme on en entend trop souvent et qui n’épargne aucun secteur …

Destin de femme… Quand la vie nous réserve des surprises

Mais Nathalie a réussi à transformer cet affront en une incroyable opportunité : celle de pouvoir se consacrer à temps plein à ses deux petits garçons. Être mère au foyer est parfois une conséquence subie, parfois un choix délibéré. Ce statut particulier peut être source de réalisation ou de frustration, selon les personnes et les parcours de vie. Nathalie, qui ne l’avait pas choisi, l’a pourtant vécu comme une chance, comme une expérience heureuse dont elle a pu profiter pleinement. La vie d’une femme n’est toutefois jamais figée et quand ses fils ont grandi, Nathalie a senti qu’une phase de sa vie se terminait et qu’une autre s’apprêtait à s’ouvrir. Elle s’est ainsi mise à la recherche d’un emploi. Elle avait besoin de se fixer de nouveaux objectifs, de se sentir utile hors de chez elle, de retrouver une vie sociale quelque peu délaissée au profit de la vie de famille. Nathalie avait besoin, tout simplement, de se sentir elle.

C’est donc via une association féministe qu’elle a remis le pied à l’étrier. Mais à mi-temps. Et malgré les propositions de Josiane, la directrice, d’augmenter ses heures, Nathalie a toujours tenu à préserver son autre mi-temps pour prendre soin d’elle en le consacrant à sa passion : le sport, et plus précisément le fitness.

De l’impossibilité de fermer les yeux face à la violence conjugale

En commençant à travailler chez Solidarité Femmes, Nathalie s’est retrouvée directement confrontée aux conséquences de la violence conjugale. Elle a découvert l’ampleur du phénomène et l’extrême nécessité de structures d’hébergement comme la nôtre. Son bureau se trouve au refuge, mais à l’étage. Elle n’a que peu de contacts avec les femmes hébergées. Mais il serait toutefois difficile pour elle de fermer les yeux sur les traces visibles laissées sur les visages et les corps des femmes qui arrivent en urgence au refuge. Comme il serait difficile de faire la sourde oreille aux récits de leurs histoires de violences qu’elle entend parfois quand les portes des bureaux de Sandrine et Eloise sont ouvertes. Face à la gentillesse et à la générosité de F. qui avait pris l’habitude de préparer le thé et d’en proposer aux membres du personnel, comment rester de marbre en pensant à ce qu’elle a traversé ? Un souvenir douloureux et teinté d’amertume remonte à la surface. Nathalie se souvient d’une dame hébergée au refuge il y a quelques années. La dame avait informé les travailleuses du sort qui lui serait réservé si son mari la retrouvait. Ce dernier avait été avec elle on ne peut plus clair. Bien sûr, la police avait été avertie. La dame, au bout de quelques temps, a quitté le refuge. On n’a plus entendu parler d’elle. Et un jour, la nouvelle atroce de son assassinat, dans les conditions précises qu’elle avait décrites, est arrivée jusqu’au refuge. C’est un grand sentiment d’injustice qui l’a envahie alors et dont elle ne s’est pas délivrée.

L’espoir d’un monde plus équitable

Nathalie, malgré tout, aime son travail. Parmi les deux petits garçons qui ont occupé à temps plein la maman au foyer passionnée de chiffres qu’elle était, il y avait Dylan, qui a travaillé pendant quatre ans en tant qu’éducateur chez Solidarité Femmes et a donc, pendant plusieurs années, été son collègue. Doit-on y voir un clin d’œil du Destin ?

Quand je questionne Nathalie sur son féminisme, elle me dit qu’elle ne se sent pas militante. Mais elle croit profondément que le respect et la liberté devraient être garantis pour chaque femme. Plus que l’égalité, elle met en avant le concept d’équité qui garantit aux individus un traitement juste. Et c’est vrai : l’égalité peut être un leurre quand elle se borne à ignorer les différences.