Linda

Linda, éducatrice de nuit

La « petite Linda » (c’est comme ça qu’on l’appelle quand on entend la distinguer de notre autre collègue Linda) est éducatrice spécialisée, diplômée de la Haute Ecole de Mons. Elle a été engagée en tant qu’éducatrice de nuit en août 2022, soit il y a un peu plus d’un an, pour venir renforcer une équipe déjà constituée par Melina et Dolores. En 2022, Linda n’était pas pour autant un nouveau visage au refuge : nous la connaissions depuis deux ans déjà, pour avoir effectué son stage de troisième année chez nous et pour y avoir travaillé en tant qu’étudiante pendant les vacances.

Un planning varié et des occasions de briser la routine

Le planning d’une éducatrice de nuit, au sein de la maison d’accueil de Solidarité Femmes, consiste en l’enchainement de sept nuits d’un jeudi à l’autre, de quelques jours de récupération et d’une semaine du lundi au vendredi en travail de jour.

Quand elle travaille en journée, Linda passe beaucoup de temps à s’occuper des enfants. Quand elle le peut, elle accompagne volontiers les habitant·es du refuge, petit·es et grand·es, lors des activités extérieures. C’est d’ailleurs ce qu’elle préfère dans son travail : ces sorties permettent de briser la routine et de favoriser le contact. Linda aime se sentir sur le même pied que les femmes en situation d’hébergement, elle refuse toute forme d’ascendant. Et ces sorties sont des moments privilégiés pour partager des moments précieux tout en réduisant au maximum la frontière qui sépare les professionnel·les des bénéficiaires. Ce n’est pas banal : Linda n’a pas retrouvé cette proximité et cette horizontalité dans ses autres endroits de stage et dans sa précédente expérience professionnelle en maison de repos.

Pour les nuits au refuge, les choses se passent différemment, une forme de routine est nécessaire pour organiser le travail au mieux. Ainsi, le jeudi soir quand Linda commence une nouvelle série de nuits, elle lit d’abord le « cahier des éduc’s » ainsi que les PV d’éventuelles réunions afin de disposer de toutes les informations importantes concernant les dames hébergées et les enfants (réactivation de l’ex violent, souci de santé, départ prévu, etc.). Elle établit ensuite le programme des soirs suivants et plus précisément des activités qui seront proposées aux femmes hébergées une fois les enfants endormis. Elle élabore ce programme en concertation avec les femmes quand c’est possible, quand une demande spécifique émane de l’une d’elles par exemple. Le plus souvent, ceci dit, elle est l’unique moteur : motiver les troupes est en effet une de ses missions, et non des moindres ! Au cours des soirs précédant notre rencontre, Linda avait mis sur pieds une activité « cailloux voyageurs » avec les dames : elles avaient ensemble passé une soirée à peindre et décorer des galets destinés à être « libérés » dans l’espace public, dans l’espoir de voyager et de faire de belles rencontres. On sait par exemple que l’un d’entre eux s’apprêtait à prendre le chemin de l’Italie…

Linda la créative

Linda a en elle une âme d’artiste, au refuge ses dons pour le dessin sont connus et reconnus. Elle est créative, déborde d’imagination et adore bricoler. Pendant ses prestations de jour, elle s’en donne à cœur joie avec les enfants, déployant des trésors d’inventivité pour leur proposer des activités qui puissent leur plaire, malgré les différences d’âge parfois importantes. Il faut dire qu’elle a opté pour des études secondaires artistiques et que le TFE de ses études supérieures d’éducatrice spécialisée portait justement sur la mise en place d’ateliers de médiation artistique au sein d’un refuge pour femmes victimes de violences comme le nôtre.

Découvrir la réalité des violences conjugales sur le terrain

Des violences conjugales en revanche, il a été peu question lors de son cursus. Durant ses trois années en Haute Ecole, elle se souvient qu’une journée seulement fut consacrée aux violences au sein du couple et l’approche est restée très superficielle. C’est vraiment sur le terrain, lors de son stage d’abord et encore aujourd’hui dans son quotidien de travailleuse, qu’elle a appris et qu’elle continue à apprendre comment se positionner face à une femme victime de violences au sein de son couple et face à des enfants qui ont vécu dans un foyer frappé par ce fléau. Elle est reconnaissante de l’encadrement assuré par Veronica durant son stage ou encore par Dylan quand elle a commencé à travailler. Linda a senti très vite que l’équipe était très soudée, me dit-elle, et elle s’y est rapidement intégrée. La cohésion et la solidarité au sein des travailleuses et travailleurs est sans doute un ingrédient primordial pour assurer un accompagnement optimal aux bénéficiaires… et pour gérer plus facilement la charge émotionnelle qu’implique un travail comme le sien.

Un fléau qui touche aussi les jeunes

Depuis qu’elle a intégré Solidarité Femmes, Linda a croisé le chemin d’une vingtaine de survivantes. Elle me parle de Z., une très jeune femme qui a séjourné au refuge au moment où Linda y effectuait son stage. Elle me dit avoir été frappée par sa résilience, sa capacité à garder le sourire malgré tout.

Linda a réalisé rapidement que la violence entre partenaires ne concerne pas que les couples d’âge mûr. Cela ne fait pas si longtemps que ça qu’elle a terminé ses études, elle a une petite sœur… Elle sait bien comment ça se passe chez les jeunes, en 2023. Et elle peut affirmer qu’ils et elles ne sont pas encore assez sensibilisé·es au phénomène des violences au sein du couple. Iels manquent vraiment d’informations.

Elle-même m’avoue qu’elle sous-estimait beaucoup les violences psychologiques et financières avant de découvrir au quotidien leur impact sur les victimes. Elle est maintenant beaucoup plus attentive aux dits « red flags » et tique facilement quand elle soupçonne le moindre déséquilibre dans les relations amoureuses de ses sœurs dont elle est très proche.

Sororité et conflictualité : le quotidien au refuge

Au travail, très vite, Linda est frappée par le lien qui se crée entre les femmes hébergées et avec les travailleuses et, surtout, par la persistance de ce lien dans le temps. C’est un constat qui marque beaucoup les travailleuses en début de carrière : Éloïse aussi avait relevé ce phénomène. De belles et longues amitiés naissent au refuge et le personnel devient pour beaucoup comme une deuxième famille.

Bien sûr, la vie au refuge n’est pas toujours simple, on est loin d’un long fleuve tranquille et les eaux sont parfois houleuses. A certains moments, le personnel peut avoir l’impression de ramer à contre-courant. Les tensions sont fréquentes. Linda me dit qu’il est parfois compliqué de savoir comment réagir. La formation à l’autodéfense qu’elle a suivie en interne avec l’ensemble de ses collègues sous la supervision de Veronica lui a heureusement fourni des instruments précieux pour se protéger et désamorcer des conflits naissants. Aussi, elle sait qu’elle peut toujours compter sur Josiane, la directrice, disponible à tout moment pour pouvoir intervenir quand un·e éducateur·rice ressent le besoin d’être épaulé·e.

Motiver sans jamais imposer

La motivation des femmes à participer aux activités proposées par Linda n’est pas toujours au rendez-vous non plus. Il est naturel pour elles de vouloir parfois se replier sur elles-mêmes, avec le risque de tomber dans un engourdissement qui est contre-productif dans le processus de reconstruction. Ces femmes sont adultes et seules responsables de leurs choix, Linda ne se sent évidemment pas légitime à leur imposer quoi que ce soit. Cela irait d’ailleurs contre les principes de Solidarité Femmes, qui mettent en avant l’autonomie et l’empowerment des femmes, sujets actifs, par opposition totale à la condition de soumission et de dépendance qui dans la plupart des cas leur a été imposée par leur ex-conjoint violent.

Un engagement féministe vécu dans le partage d’informations et le combat des préjugés

Son engagement féministe, Linda le vit principalement dans la transmission de son savoir et dans son combat quotidien contre les préjugés. « C’est important qu’à notre niveau on essaie de contribuer à la prévention », me dit-elle.

Ce soir, avec les dames hébergées qui le souhaitent, elle terminera un jeu portant sur l’estime de soi. Le but de celui-ci est de favoriser la discussion et de faire ressortir un maximum de positif.

Si d’aventure vous croisez sur votre route un caillou voyageur portant l’hashtag #SolFemmes, s’il-vous-plait, donnez-nous de ses nouvelles et continuez à le faire voyager.

De notre côté, nous nous engageons à emmener avec nous, partout et à chaque instant, nos idéaux d’égalité et notre engagement contre les violences faites aux femmes.